11/29/2007

L'âge de l'enfant de choeur (0-12 ans)

Ma dernière rencontre de formation pour l’accompagnement aux mourants portait sur le deuil. Ça brasse des souvenirs!

Mais il m’arrive souvent, lors de sessions de croissance personnelle, de transférer mes connaissances dans un domaine tout à fait différent. C’est ainsi que j’ai pensé qu’en moi, il y a un deuil qui n’est pas encore venu à maturité. C’est celui de l’abandon de la religion.

L’animatrice nous disait cette semaine qu’après une perte, le choc initial était suivi d’une sorte d’engourdissement qui empêche de réaliser l’ampleur de la perte. Puis on tourne en rond, jusqu’à ce qu’on réalise à quel point la perte est définitive et quelles en sont les conséquences.

Une fois qu’on a reconnu à quel point notre vie est désorganisée, on peut la reconstruire, retrouver qui on est, et vivre!

Alors, je commence aujourd’hui une démarche de reconnaissance. Je vais essayer de nommer l’impact de la religion dans ma vie. Je prendrai du temps, je veux y aller à fond.

Voici donc la première partie de ce retour, que j’appellerais l’âge de l’enfant de chœur (0-12 ans).


Comment fabriquer un enfant de choeur

D’abord, le moment : la fin des années quarante est très favorable. Ça aide aussi d’avoir une mère très dévote. Un saint curé dans la paroisse. Une enseignante à la fois excellente dans le métier et très pieuse.

Vous l’emmenez à l’église très jeune, idéalement dans le temps de Noël. Vous lui faites admirer la crèche et vous sondez vos fonds de poche pour trouver quelques sous noirs à offrir à l’ange gobe-sous très accessible qui vous remercie d’un coup de tête mécanique. Ah, l’ange gobe-sous! Quelle belle image de l’Église que votre enfant de choeur s’apprête à servir...

Ensuite, facteur non négligeable, vous faites naître votre futur servant de messe dans un petit village, tout près de l’église. Alors quand le servant de messe officiel prend sa retraite, vers 13 ou 14 ans, pour aller rejoindre son père ou ses frères dans les camps de bucherons, sa mère le propose au curé pour le remplacer.

Il ne sait pas encore lire? Pas grave, on va le faire répéter jusqu’à ce qu’il sache ses prières par coeur. C’est ainsi qu’il saura son Pater noster avant son Notre-Père.

Il ne comprend pas ce qu’il dit? Pas important. Il n’y a que le curé qui comprenne. Probablement. Espérons!

Introibo ad altare Dei, dit le curé. Ad Deum qui laetificat juventutem meam, répond le servant. Ah ça, ça vous réjouit une jeunesse, Monsieur!

Le Suscipiat lui donne plus de fil à retordre. Pas grave, il n’a qu’à faire comme le curé, marmonner... Ça donne à peu près ceci : « SUSCIPIAT DOMINUS SACRIFICIUM ‘ de minus munus ‘ TUI, AD LAUDEM ‘ de minus munus de minus minus' SUI, AD UTILISATEM ‘ de minus de munus ‘ NOSTRAM, TOTIUSQUE ECCLESIAE SUAE SANCTAE. » Le truc, c’est de commencer le SUSCIPIAT à voix forte, d’aligner une série de minus munus et de terminer avec force « TOTIUSQUE ECCLESIAE SUAE SANCTAE. En tout cas, ça doit marcher, on ne lui en fait jamais le reproche. Peut-être aussi que le curé n’écoute pas…

Il va faire l’affaire. Il sera même payé pour son travail: 5 sous par messe, trente sous par semaine. Mais à une époque où la bouteille de Coke se vend sept sous, pour un enfant de 6 ans, c’est un salaire appréciable , vite dépensé à la tabagie-salle-de-billard d’en face. À moins que sa mère le lui défende : on est pauvre, pas question de gaspiller ses sous.

Le dimanche, il doit travailler gratuitement, “par amour pour le Bon Dieu”. Il fait sa première expérience de la loi du marché. Le dimanche, tout le monde est obligé d’aller à la messe, sous peine de péché mortel; ils sont une quinzaine d’enfants de choeur autour du curé: l’offre dépasse la demande, les prix sont à la baisse!

Mais le dimanche, c'est aussi la grand-messe. Notre enfant de choeur fait l’expérience de la hiérarchie. Il commence comme acolyte, portant un cierge. Avantage marginal, il y a de la cire qui coule le long du cierge, on peut s’en détacher des morceaux qu’on met discrètement dans sa bouche. De la gomme pas cher!

Lorsqu'on est un peu plus grand, on devient « cérémoniaire », on porte le bénitier. Mais la meilleure job, celle qui nous donne le plus de prestige, c'est celle de « thuriféraire ». Ah, l'encensoir! L'ouvrir, le tendre au curé qui prend quelques grains de résine dans la navette que lui tend le cérémoniaire et les met sur le charbon ardent, le refermer et le tendre au curé, qui fait le tour de l'autel pour l’enfumer!

Vient ensuite le moment le plus important de la messe: encenser le curé, puis l'assistance. Comme il ne connaît pas le sens de ce rite, il pense que le corps de l'encensoir et la chaîne doivent se heurter en faisant un beau bruit : tchic, balancement, tchic, balancement, tchic. Notre enfant de choeur est un artiste!

Si son grand-père a joué un rôle important dans la construction de l'église, on lui a réservé le premier banc. Alors, parfois, le servant découvre qu'un de ses oncles est en visite chez son grand-père en voyant ses sept cousines les tresses alignées dans le banc : ah, les beaux tchic-tchic qu’il fait alors!!! Tout le monde dans l’église peut constater quelle est son orientation sexuelle…

Par contre, il trouve les sermons plutôt ennuyants. Alors il en profite pour aller à la toilette. Ce que le curé lui reproche doucement et indirectement en disant à sa mère qu’il « prend ses aises », pendant la messe…

D’autres fois, c’est d’une autre manière qu’il prend ses aises. Comme on doit être à jeun depuis la veille pour avoir le droit de communier, il arrive que le servant tombe dans les pommes pendant la prière eucharistique. Deux hommes le transportent alors à la salle de billard, en face, et lui donnent un peu de lait. Et non, il n’a jamais pensé feindre de perdre connaissance pour abréger la messe. Il est encore jeune, vous savez!

C’est une profession exigeante, en 1950, que celle d’enfant de choeur. Il y a les vêpres, le dimanche après-midi, avec l'exposition du saint Sacrement, le Tantum ergo, le Salutaris hostia… Puis les « exercices » de l’Avent, du Carême, le chemin de croix le vendredi soir. Et le mois de Marie, le mois le plus beau. Une fois de temps en temps, un triduum. Et la
procession de la Fête-Dieu. Là, l'encensoir devient lourd! Une fois, le bedeau, craignant que notre servant fasse encore de la toile, lui offre de prendre la relève. À quoi il acquiesce, un peu à contrecoeur. Il se sent comme un joueur de hockey pas de bâton!

Et puis, il y a les funérailles, les mariages. Les messes diacre-sous-diacre! La visite de l'évêque, le stress, la confirmation : ah, devenir porte-mitre, porte-crosse, le top du top des responsabilités de servants de messe!

Il aime bien ces cérémonies, le chant grégorien, l'odeur de l'encens et de la cire brûlante. Mais il ne comprends pas grand-chose à ce qu’il fait.

Et il y a déjà des choses qui le dérangent. Par exemple, cette fois où le curé “autorise” les cultivateurs à rentrer leur foin, même si c'est dimanche. Il se demande pourquoi les gens ont besoin de la permission du curé pour faire leur travail.

L'institutrice le leur explique : ce sont des œuvres « serviles », défendues le dimanche. Et quand elle leur dit que les œuvres « libérales », elles, sont permises, l’enfant de chœur se dit : « C'est pas juste, qu'un notaire puisse avancer son travail le dimanche, mais pas le fermier ou l'ouvrier! »

Quand sa mère le fait entrer et sortir de l'église à répétition parce que le curé a dit que durant le triduum, il y avait des « indulgences » à gagner pour chaque « visite » de l'église, il ne dit rien, parce qu’il n’est pas assez vieux encore pour interpeller sa mère, mais il sent que c’est carrément ridicule...

Il faut faire sa première confession avant sa première communion, au cas où on aurait eu des péchés mortels sur la conscience. Il invente des péchés, parce qu'il ne sait trop quoi dire… Il s'est exercé en classe, pourtant, et il ne comprend pas pourquoi son institutrice a raconté à tout le monde du village qu’il s'est accusé d'avoir tué sa sœur, sept fois!!!

Puis c’est le stress de la première communion, où il faut se mettre sur son trente-et-un, et éviter de mordre l'hostie, qui lui colle au palais, ce qui l’occupe pendant le reste de la messe : bon exercice de musculation de la langue!!!

C’est ainsi que l’enfant de choeur entre en douce dans la culture religieuse ambiante et omniprésente. Il se conforme. Il a fait l’expérience des conséquences de la non-conformité. Un jour, il s’est tenu la tête à deux mains pendant la messe, parce qu’il avait mal à la tête. L’institutrice l’avait interpellé le lundi en classe en classe et puni parce qu’il a osé « mal se tenir » devant la sainte Eucharistie…

Une autre fois, il a le torticolis et penche la tête pour éviter la douleur. Un plus grand pense qu’il se moque de l’organiste, infirme, et entreprend de le « redresser ». Ouille!

Le premier curé qu’il connaît était un saint homme. Si les servants lui volent des pommes, il les sermonne un peu, puis se fait pardonner en leur donnant médailles et images pieuses.

Comme en deuxième année, l’enfant de choeur a lu tout les livres de la bibliothèque de la classe (facile, il y en a si peu, une vingtaine, peut-être!), le curé l’alimente en « vies de saints », sorte de résumés en quatre pages de ces vies exemplaires. Si le servant de messe n’est pas devenu un saint, ce n'est pas faute de modèles! Mais n’anticipons pas...

Quand le curé meurt, l’enfant de choeur vit son premier vrai deuil.

(à suivre)

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1 Comments:

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