12/09/2007

L’ange déchu

Après avoir publié mon dernier message, j'ai été pris d'une sorte de tristesse, et je me suis demandé s'il valait la peine de faire ce travail. C'est probablement ce que notre animatrice voulait dire quand elle disait que le problème du deuil, ce n'est pas d'en sortir, mais d'y entrer…

Deux ou trois observations avant de poursuivre.

D'abord, je porte un œil critique sur une expérience d'enfant. La religion, en profondeur, était évidemment autre chose. Mais l’enfant, lui, la percevait à son niveau de vécu.

Ensuite, il faut observer que mon but n'est pas de jeter la pierre à quiconque. Je veux juste dire ce que j'ai vécu, moi. Dire ce dont je me souviens. Ce dont je prends conscience, aujourd’hui.

Et j’ai conscience aujourd'hui que je n'avais conscience d'à peu près rien, à l'époque. Je participais aux prières, mais je ne priais pas. Il faut avoir répondu en famille au chapelet du Cardinal Léger à la radio pour savoir qu'on est rapidement distrait! Je suis allé à la messe, j’ai participé aux sacrements, avec ma conscience d’enfant. On disait que j’avais l’âge de raison. Je n’en suis pas sûr. Il y en a sans doute pour qui l’âge de raison retarde un peu…

Aujourd'hui, je dirais que même les adultes du temps participaient aux exercices religieux avec un esprit d'enfant. Quand on se précipite pour ondoyer un enfant en danger de mort pour s'assurer qu'il va aller au ciel (et lui éviter les limbes!), quand trois “Je vous salue Marie” chaque jour vous assurent une belle mort, quand la confession « efface » vos péchés, on n'est pas loin d'Abracadabra et autre Sésame ouvre-toi!

Il faut aussi décoder les figures de style, la recherche d'effets. Je suis un écrivain. Et j'écrivaille! Allons-y donc pour la suite.


Nous retrouvons donc notre enfant de chœur à 12 ans. Il n’est pas un ange. Il sait que mentir est utile, mais aussi que ce n’est pas bien. Pourquoi? Ca fait de la peine au Petit Jésus, paraît-il. Il fait des colères. Il est orgueilleux, et ça, c’est terrible. Il n’aime pas trop travailler. La paresse est la mère de tous les vices, à ce qu’on dit. Les péchés capitaux, il les commet tous.

Deux événements vont bouleverser sa vie.

Il va quitter le village cocon de son enfance, il va devenir pubère.


Premièrement, le déménagement en ville. Ce n’est pas une bien grosse ville, mais fini le vase clos. Il va commencer son cours classique, devenir adolescent. Ça, ça vous transforme une vie, Monsieur!

Je ne me souviens plus si notre enfant de chœur a servi la messe, en ville. Peut-être. Mais l’arrivée d’un étranger n’a pas dû causer un grand remous dans l’équipe urbaine des enfants de chœur. Finie la messe quotidienne, en tout cas. Messe dominicale, bien sûr, sacrements occasionnels.

Mais ce qui va mettre une fin définitive à l’enfant de chœur en lui, c’est la puberté. La sexualité. La découverte du plaisir solitaire, hou là là! Ça aurait pu être si bon, ça. Mais non…

Je veux en parler ici, parce que notre préado a été élevé avec une mentalité janséniste qui avait une peur extrême du sexe, si ce n’est une obsession. Pour un enfant qui a tout à découvrir, c’est traumatisant. Comment réagir quand votre institutrice vous affirme qu’en matière de sexualité, il n’y a pas de péché véniel? Que le moindre toucher à ses organes commande une confession avant d’aller communier? Pourquoi ce qui est plaisant est-il défendu?

Notre enfant de chœur est un enfant normal. Je présume! Quelques anecdotes…

Il n’allait pas encore à l’école, je pense, quand il est tombé en amour pour la première fois. Son père à elle tenait un magasin général, et quand il allait faire des commissions pour sa mère, il attendait le moment de passer la porte pour lui dire à la sauvette : « Bye, ma blonde »! Au magasin général, il y avait un grand banc pour les rentiers du village qui fumaient une pipe en devisant des dernières nouvelles. J’imagine que le jeune amoureux a dû parfois meubler leurs conversations. Alors quand son professeur de psychologie, des années plus tard, parle à ses élèves d’une période de latence pendant laquelle les gars ne s’intéressent pas aux filles, notre jeune homme se dit qu’il n’a jamais connu ça.

Quel bonheur, en troisième année, alors qu’il revient de l’église avec son groupe (confession de masse!), et qu’elle le prend par le bras proclamant: « Lui, c’est mon chum! » Vous croyez que ça l’a empêché de dormir? Vous ne connaissez pas les enfants. Il a dormi comme un loir. Mais il y avait comme un sourire de figé dans ses rêves…

Un peu plus tard, il a dix ans peut-être, la famille est invitée par des amis à aller passer le dimanche dans un petit endroit de villégiature. Son père n’est pas là, parti travailler au loin, selon son habitude. Alors la mère de notre enfant de choeur est bien contente de sortir un peu de la grisaille quotidienne avec sa marmaille.

Monsieur B. a un gros camion pour la livraison de portes et fenêtres. Et lorsqu’il sort avec la famille, il boulonne deux vieux sièges d’auto dans la boîte, en arrière, où il peut asseoir six enfants.

Cette fois-là, une nièce de Sherbrooke, un peu plus vieille et délurée que lui, passe le week-end avec la famille B. La mère de notre enfant de choeur a tout de suite identifié la menace! Lorsqu’ils se baignent, par exemple, ils veulent s’éloigner un peu, histoire de se débarrasser des plus petits. Sa mère le lui reproche au souper, lui disant de faire attention à cette fille-là, que ce n’est peut-être pas une « bonne » petite fille. À 10 ans, qu’est-ce que tu peux comprendre de ces craintes maternelles?

Le soir, au retour, sa mère s’assure qu’ils sont assis chacun de son côté du camion, sur des sièges différents. Mais vous pensez bien qu’aussitôt que le camion se fut mis en marche que nos complices se retrouvent. Tout à coup, la belle étrangère se met à cogner des clous, et appuie sa tête sur son épaule! Hou là là! que c’est bon, ça! Il met son nez ses cheveux qui sentent encore l’eau du lac et ils dorment comme ça jusqu’à l’arrivée.

Le lendemain, sa mère lui dit qu’elle a été surprise de les trouver sur le même siège, qu’elle avait pourtant bien pris la peine de les séparer. Alors il lui avoue que c’est lui qui était allé la retrouver. Son commentaire : « Ah, t’as fait ton petit maquereau! ».

Un enfant de 10 ans ne sait pas trop ce que c’est que de faire le maquereau, et dans les circonstances, sa mère est sans doute la dernière personne à qui poser la question! Mais le message est passé. L’attirance qu’il a ressentie pour cette fille n’était pas correcte, elle était condamnable. Pourtant, lui, ce qu’il a trouvé ça bon!

Je ne fais pas de reproche à sa mère. C’était la culture du temps. Mais notre enfant de chœur en subira longtemps les effets…

Quand sa sœur vient au monde, un de ses frères, la journée du baptême, demande naivement : « Comment on fait pour savoir que c’est une fille? » Question niaise, pense l’enfant qu’il était encore alors… Et ses oncles de se mettre à rire nerveusement. « Veux-tu qu’on te le montre? ». Mais un regard des femmes dans la pièce, ils ne l’ont pas fait. L’enfant de chœur était bien déçu!!! Il aurait aimé ça, savoir…

Autre illustration de cette mentalité. L’enfant entend sa mère discuter du fait qu’une villageoise donnait le bain à ses deux enfants, gars et fille, en même temps. « Vous ne me ferez pas accroire que ces enfants-là ne se regardent pas! » Quel scandale, hein! Ça nous paraît ridicule aujourd’hui, mais dans le temps, ça ne se faisait pas! On faisait même l’amour dans le noir!

Alors vous pensez bien que lorsqu’un voisin un peu plus vieux lui parle de ses expériences de masturbation, l’enfant de chœur ne vérifie pas la justesse de ses informations avec sa mère! Il se met en état de recherche scientifique sur le « terrain »!!!

Un jour, sa mère le surprend lors d’une de ses « expériences ». Oh, grand Dieu, l’apocalypse! Il se fait dire qu’il en train de devenir vicieux comme ses oncles. Dans le coin avec ton chapelet, mon gars, je vais te donner de quoi égrener, moi!!! Il faut dire que certains de ses jeunes oncles, à peine plus vieux que lui, ont profité du fait que sa grand-mère les gardait, lui et ses frères, pour se faire toucher les organes (la pissoune, ah, le vocabulaire québécois en « oune »!), dont il garde de mauvais souvenirs, malgré la relative innocence de la chose.

Et le lendemain matin, confession obligatoire, messe, on passe le torchon! Est-ce que je suis le seul à penser ça, ou il y a de quoi être traumatisé? Chose certaine, l’ « enfant de chœur » devient de plus en plus un « enfant de cul » et se confesse de moins en moins souvent. Mais au moins, il n’a plus besoin d’inventer des péchés!!!

Il s’intéresse aux filles. Il en suit une parfois en se rendant à l’école. Il ne sait pas quelle école elle fréquente. Il sait seulement qu’ils se retrouvent sur le même trottoir, à peu près tous les jours, à peu près à la même heure. Elle lui semble plus vieille que lui. Il ne l’abordera jamais.

Deux ou trois ans plus tard, redéménagement. Pour le Nord, cette fois-là, Schefferville. Dépaysement total. On retombe dans un milieu fermé, mais très diversifié.

Sa mère veut qu’il poursuive son cours classique. Mais la famille n’est pas riche. Alors, sa mère en parle au curé, qui recommande une rencontre avec Mgr Scheffer, un Oblat. Et c’est comme ça que notre adolescent est devenu « juvéniste » au Séminaire oblat de Chambly. Il retombait dans un milieu religieux, on ne peut plus fermé, puisque le petit séminaire formait de futurs prêtres religieux. Il y passe un an seulement.

Il aime le pensionnat, le gang de gars, la routine bien établie. Il sert la messe à son tour. Mais il ne prie pas plus. N’est pas plus croyant. Peut-il avoir la « vocation »?

Au début de l’année, on demande aux pensionnaires de choisir un confesseur, ou directeur spirituel. Pour les autres, cela ne fait pas difficulté, ils ont déjà deux ans de cheminement de faits. Le seul père que le p’tit nouveau connaissait un peu était un adjoint du directeur, qui l’a accueilli à la rentrée. Les règles de prudence ne permettent pas qu’il fasse de la direction spirituelle. Alors on confie le nouveau au père professeur d’éducation physique, un colosse à qui il ne pourra jamais faire confiance. Il avait pourtant une certaine admiration pour lui, c’était tout un joueur de hockey. Mais se confier à lui? Lui livrer son intimité? Jamais! Il le rencontre une dizaine de fois, j’imagine, il lui raconte toutes sortes d’histoires… Il n’a jamais pu lui avouer son « problème »!

Ils sont peut-être 80 dans le dortoir, avec un surveillant qui se berce en disant son chapelet. Il doit pourtant voir qu’il y a de l’action sous certains draps! Peut-être qu’il dort, aussi… Ou qu’il aime ça!

Notre enfant de chœur prend conscience qu’il n’a pas la vocation lors de la cérémonie de la prise de la « petite croix ». On faisait faire aux nouveaux une sorte de courte retraite et le dimanche, ils reçoivent une petite croix, quand même assez lourde, réplique miniature de l’immense croix que les religieux oblats portaient. Il se sent en pays étranger.

Vers la fin de l’année, il se fait prendre à fumer, et surtout à fournir des cigarettes aux autres. Le sens du partage, paraît que ça ne doit pas s’appliquer aux cigarettes. On lui donne une retenue (ah, ça, ça fait mal, une des rares fois qu’on avait un film!), mais on lui demandera plus tard de ne pas revenir l’année suivante.

Il apprendra deux ans plus tard que la vraie raison de son expulsion, c’est qu’au mois de mars, il a dit à ses camarades qu’il ne voulait pas revenir l’année suivante. Et pour les Pères, c’était faire preuve de « mauvais esprit » : il risquait de « détourner » les autres de leur vocation. Personne n’a pensé qu’il avait 15 ans, qu’il était parti de chez lui depuis septembre, et que l’hiver est long au pensionnat, loin de ses parents… Et comme il ne se confiait pas, ils ne pouvaient pas savoir…

Toujours est-il qu’il ne revient pas. Le cours classique se termine là, après trois ans de latin et un de grec. C’est peut-être pour ça qu’il est devenu prof de français plus tard? Chose certaine, c’en est fait de la vocation religieuse.

Que retenir au plan religieux de ce passage au petit séminaire? À peu près la même chose que de sa carrière d’enfant de chœur. Il fait des prières, sert à la messe, participe aux exercices. Mais il ne prie pas. Il n’a pas la foi.

Il comprend plus tard que les Pères lui ont rendu un fier service. Quel piètre célibataire, fût-il consacré, il aurait été!

Retour à Schefferville, donc. C’est là que notre ado va découvrir la langue anglaise… et la langue des petites Anglaises! Ah, Vivian, Judy, wow!

Rien à dire de cette période. Il va à l’école, à peu près avec la même conviction qu’il va à l’église, il joue au hockey comme tous les gars de son âge, il s’essaie à la séduction. Avec des succès mitigés, admettons-le, dans tous les domaines!

Pour sa 5e secondaire, il redeviendra pensionnaire. Puis ce sera l’école normale, où il sera l’un des servants de messe. Pensionnaire toujours, mais au moins, là, les sorties sont libres.

Cette époque, au plan religieux, sera surtout marquée par des rencontres avec l’aumônier, souvent en groupes, pour parler de tout et de rien : le sport, la politique, leur vécu d’étudiant. Notre jeune homme en a dépensé des croix d’absolution, il était un consommateur compulsif! Puis, la dernière année, il trouve un emploi, ce qui lui permet de quitter le pensionnat (à 22 ans!!!), de passer du temps avec sa copine sans avoir à se soucier de l’heure de rentrée.

Anecdote : sa copine et lui vont se confesser un peu avant Noël, puis essaient d’éviter de s’embrasser, de se câliner, pour « éviter le péché » et pouvoir aller communier. Ça ne dure pas longtemps. Après le réveillon, les parents de sa petite amie se retirent, et le jeune couple a pu « pécher » effrontément jusqu’aux petites heures du matin!

Notre enfant de chœur devient professeur. Rien à dire là-dessus non plus. Enseignement le jour, hockey ou blonde le soir, pas mal d’alcool. L’arrivée d’une certaine Monique dans sa vie va changer tout ça.

L’enfant de chœur n’est pas un ange. Il est un être humain. Grosse découverte!

L’être humain est sans doute le seul être sur la terre qui refuse son être. Un chien ne veut pas être moins chien, un éléphant moins éléphant, un rat moins rat.

L’être humain est mortel et rêve d’immortalité. Il est un animal qui rêve de spiritualité. L’ange n’est déchu que dans sa tête. Il n’a jamais été un ange, se nourrît-il du « Pain des Anges » …

(À suivre)

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2 Comments:

At 11:06 p.m., Anonymous Anonyme said...

Salut!

J'ai beaucoup de plaisir à lire tes petites chroniques!!! C'est à la fois ludique et très émouvant.

Je découvre mon idole de père un peu moins parfait, un peu plus humain! ;-)))

Je suis en errance pas mal depuis une couple d'années et m'y complait pas mal. Détachement de la religion mais retour tranquille à des valeurs un peu plus solides. Drôle de feeling.

Allez continue!

Martin

 
At 9:21 p.m., Anonymous Anonyme said...

Vraiment intéressant...à quand la suite?

 

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