1/28/2011

Les commandements, de moi à moi

Quand on a pris ses distances avec l’Église, désillusionné, et que la réflexion et la recherche nous porte à croire… qu’on ne croit plus, qu’en est-il de la morale? Si on ne parle plus de « permis » et de « défendu » parce qu’on ne vit plus sous ce régime, comment décide-t-on ce qui est bien ou mal? Quelle sera la nouvelle coutume, quels seront les nouveaux usages qui éclaireront mes choix?

Voilà la question à laquelle je veux répondre. Répondre pour moi, d’abord et surtout. C’est pourquoi « je » dirai souvent « je ». D’ailleurs, un blogue, c’est fait pour dire « je », non?

Origine de ma réflexion

J’ai été élevé par une sainte mère à la formation catholique janséniste née au début du 20e siècle. Morale plutôt négative. Faut pas battre ton petit frère. Faut pas voler. Faut pas mentir. Faut surtout pas toucher à ta « pissoune »… Faut pas manger de viande le vendredi. Faut pas manger avant d’aller communier. Faut pas manquer la messe du dimanche. Faut pas travailler le dimanche. Etc.

Il y a des choses qui, déjà, n’entraient pas dans ma tête de petit gars de 6 ou 8 ans. Pas battre mon petit frère? Mais s’il me tombe sur les nerfs? Et si c’est lui qui me bat? Faut pas voler de pommes dans le verger du curé? Mais si j’ai faim? Faut pas mentir? Mais comment je sauve ma peau si j’ai fait un mauvais coup? Pas toucher à ma « pissoune »? Mais ah, là, c’est une des choses les plus agréables de la vie! Pas manger de viande le vendredi, hem.... Misère, on était pauvres et souvent, il n’y avait pas de viande le lundi, ni le mardi, ni le mercredi… Manger du poisson? Yesss! C’est pas vraiment un sacrifice, ça. Être à jeun depuis minuit avant d’aller communier? Même si je m’évanouis pendant une messe sur deux? Pas manquer la messe? Bon, ça, c’est la culture, la messe le dimanche matin et les vêpres l’après-midi, la messe des Morts le 2 novembre, trois messes à servir à Noël, à minuit, minuit et demi, une heure moins dix. Le mois du Rosaire, le carême et son chemin de croix du vendredi, l’office du Vendredi Saint (le plus monotone de l’année), la célébration du Samedi Saint à 6 h du matin (bâillement), la messe de Pâques (la plus courte de l’année!), le mois de Marie, Et cætera, Alléluia, Amen. Vous ai-je dit que j’ai eu une enfance à l’eau bénite?

J’en suis encore tout mouillé, me disait mon ami Alexis. Mais je m’essuie! Avec la douceur de Charmin!!! J’essaie de trouver une alternative à la morale judéo-chrétienne. Je ne suis plus capable d’entendre ce mot.

Toutefois je ne parle pas d’alternative aux valeurs judéo-chrétiennes qui, elles, si on les comprend bien, sont des valeurs universelles, exception faite de tout ce qui est relié à la religion et à l’autorité.

Anecdote peut-être à la source de ma réflexion. J’enseignais dans une école privée catholique fondée par une communauté religieuse qui tenait à la mission évangélisatrice de la maison. Et pendant quelques années, une des journées pédagogiques était réservée à une session de ressourcement spirituel obligatoire pour le personnel. Vous comprenez que les professeurs qui n’avaient pas « l’oreille spirituelle » trouvaient ça difficile, même si les responsables de ces journées essayaient de planifier des rencontres acceptables par la majorité.

Au retour d’une de ces journées, je rencontre une enseignante aux yeux creusés remplis d’eau. L’intuition me fait dire : « Je sais ce que tu penses. Tu penses que la religion a pris les valeurs humaines en otage … » Elle me répondit que c’était en plein ça.

Alors, si on comprend que les valeurs humaines, les « bonnes » valeurs, comme certaines personnes aiment dire, sont antécédentes aux valeurs chrétiennes, il doit être possible de faire le ménage, d’enlever tout ce qui a trait au côté spirituel, pour retrouver un ensemble de «lois » qui me guident dans mon agir.

Oh non, pas « lois ». Le mot loi appelle la notion de législateur extérieur dans un régime d’autorisation et de prohibition. Utilisons plutôt le mot principe. Du latin « primus », premier, et « capio », prendre. Prendre en premier.

Car la religion nous a habitués à une morale imposée d’en haut. C’est l’Église qui décidait ce qui était bon. C’était « bien » de payer sa dîme (et ça faisait bien son affaire!!!) Et si le pauvre catholique se récriait, on le bombardait de sermons sur l’humilité, sur le danger de s’attacher aux biens de la terre, etc. « Farme ta yeule pis crache », comme on disait en grec…

Quand on a quitté sa communauté, on a le choix. Les uns, les plus anxieux, s’en cherchent une autre. Ça me ressemble, parfois. J’aimerais avoir un cercle d’anciens croyants pour partager. Mais le danger alors, c’est de se retrouver dans une autre chapelle. Les autres décident de ne plus demander à un tiers de décider pour eux. Ils deviennent autonomes. Ils s’émancipent. Avec les risques que ça implique, ils deviennent responsables. Ils vivent une morale qui vient d’en bas. Ou de l’intérieur.

Responsables de se redéfinir, par exemple. Je ne veux plus dire que je suis devenu incroyant, parce que ce serait me définir par rapport à la foi. On ne dit pas d’un adulte qu’il est un inadolescent! Je ne suis pas non plus un agnostique ou un athée, ce serait me définir par rapport à l’existence d’un Dieu. Alors je suis quoi?

Je suis un être humain, tout simplement. De plus en plus, j’ai une vision optimiste de l’être humain. Je sais qu’il est capable des pires choses. Mais l’être le plus abject est encore un être humain. Pas plus, pas moins. Un de mes oncles a eu la douleur de perdre une de ses filles tuée dans un règlement de compte. Eh bien, il me disait que s’il quittait la route en pleine nuit, à moins 30 degrés, il voudrait que l’assassin de sa fille soit celui qui passe. « Lui, il viendrait m’aider. Pas le gérant de la banque…. Il ne voudrait pas se les geler… »

L’être humain est aussi capable des plus grands héroïsmes. Cependant, il ne faut pas trop vite mettre un héros sur un piédestal. Mettre quelqu’un sur un piédestal, c’est le mettre hors de portée d’un sain regard critique qui nous ferait situer la personne à sa juste place comme un simple humain.

Deux exemples récents : un policier se fait tuer, on en fait un héros, un autre se fait arrêter pour trafic de drogue et assaut sexuel, on en fait un lâche, un criminel. Pourtant ce ne sont que deux êtres humains. Et si on admire le héros, c’est qu’on reconnaît en lui des qualités que nous savons être en germe en nous. Et si nous détestons le lâche, c’est qu’il nous rappelle que nous avons en germe aussi la possibilité des pires lâchetés.

Moi?

En réfléchissant sur la morale humaniste, je suis retourné aux anciens commandements. Évidemment, la formulation ne nous convient plus. On ne prend plus d’ordre quand on est un être humain libre et responsable. Mon premier principe s’exprimerait donc ainsi : Un seul dieu j’adorerai, et ce sera l’être humain fidèlement.

Et le premier être humain à qui je dois fidélité, c’est moi. Je suis né à un point dans le temps, mes parents se sont occupés de moi tant que j’en ai eu besoin, puis ils m’ont transmis la responsabilité de m’occuper de moi. Jusqu'à ce que je meure à un autre point donné dans le temps. Si j’observe ce que le vieillissement est en train de faire à ma pauvre mère, je comprends aussi qu’il est possible que je devienne moins autonome, moins responsable avec le temps et que quelqu’un aura soin de moi dans les derniers temps.

Entre temps, la responsabilité m’appartient. Alors quand je dois prendre une décision, la première question est : « Est-ce que c’est bon pour moi? » C’est ce qu’un philosophe américain, Stephen Uhl, appelle « smart selfishness », ou l’égocentrisme raisonnable. Ça fait de moi un égoïste? Pas du tout. Mais je n’ai qu’une vie à vivre et je ne vois pas l’utilité d’en garder pour après…

Toi?

En fait, l’égocentrisme raisonnable est contrebalancé par le fait que l’être humain est un être social. J’ai été bien interpellé quand j’ai entendu Georges St-Pierre, un champion des combats extrêmes, dire qu’avant un combat où il va littéralement essayer de mettre son adversaire knock-out ou lui casser un bras, il prie pour lui. Et sa justification, c’est qu’ils sont ensemble dans ce combat. S’il y en a un qui est trop faible, il n’y a pas de combat, mais un massacre. Mon deuxième principe est donc : « Est-ce que ça nuit à l’autre ? » Il faut que je vous parle d’une expérience qui m’a traumatisé. À 13 ou 14 ans, je me fais surprendre à me masturber par ma mère. Colère! Elle me demande si je veux devenir un vicieux comme quelqu’un qu’on connaissait comme un agresseur d’enfant… Elle me met à genoux et me demande de dire mon chapelet. Le lendemain matin, elle m’envoie à la messe avec l’injonction d’aller me confesser… Pauvre moi, pauvre curé! On n’est pas encore tout à fait à l’aise avec la sexualité, mais dites-moi, le fait qu’un ado se masturbe, ça nuit à qui, au juste? Je ne veux pas faire de procès à ma mère. C’était la mentalité du temps. Mais quand même, j’en ai souffert…

Je vais souvent faire de la raquette dans le champ derrière chez moi et dans les boisés attenants. Quand je rencontre des gens que je soupçonne être les propriétaires, je parle un peu avec eux, puis j’aborde le fait que je suis sur leur terrain. La plupart ont une moue d’indifférence : la raquette, ça ne dérange pas.

Par contre, une fois, dans un sentier que je suivais habituellement en ski de fond, j’ai trouvé deux arbres abattus pour couper la piste. J’ai compris que je ne devais plus aller là. C’est vraiment tout simple.

Ici?

Je dois m’occuper de moi, je dois tenir compte de l’autre, et je vis dans un environnement. J’adore la pêche, par exemple. Et j’adore le poisson, surtout le doré et la perchaude. Mais si je prends un brochet ou un achigan, comme je n’en apprécie pas la chair, je les remets à l’eau. C’est tout simple.

Mais je sais bien que la ressource, si elle est renouvelable, elle n’est pas inépuisable. Alors je respecte les quotas, et si je n’en prends pas, pas pires amis. Ça tombe bien, ça arrive souvent que je n’en prenne pas!!!

Recycler, réutiliser, composter, pour moi, ça va de soi. Le troisième principe qui me guide : « Est-ce que la planète peut le supporter, est-ce que la planète en a besoin? Est-ce que la planète va s’en porter mieux? »

Et l’altruisme?

Remarquez que je ne parle pas d’altruisme, ici. C’est que c’est une idée tellement galvaudée! Les sermons sur l’altruisme ont mené à tant d’hypocrisie! Vous y croyez, vous, au policier ou au soldat qui donne sa vie pour la société? Moi pas, ils ont un métier qu’ils adorent, un travail risqué à accomplir et des fois, ça tourne mal. Le cultivateur qui se fait encorner par son bœuf, l’électricien qui se fait électrocuter n’ont pas plus droit au piédestal. Ils faisaient un job risqué, ils ont perdu leur pari.

Ça n’empêche pas les gens d’être dévoués et de parfois littéralement se tuer à la tâche. Mais les gens le font parce que c’est bon pour eux. Des gens sont canonisés parce qu’ils sont des saints. Je veux bien, comme dit M. Ignatieff. Mais ils sont morts en faisant ce qui était bon pour eux. On a canonisé des religieuses qui jeûnaient « en unissant leur souffrance à celles du Christ. » Plus prosaïquement, aujourd’hui, ça s’appelle de l’anorexie mentale.

Je me souviens d’un article de Foglia dans La Presse qui commentait une nouvelle à propos d’un entraîneur qui avait abusé de ses petits joueurs de hockey. Il disait que le bénévolat, ça n’existe pas. Ce qui existe, ce sont des gens qui trouvent leur bonheur à « coacher » une équipe. Comme d’autres aiment bien participer à une campagne de financement. Et certains artistes, participer à un spectacle bénéfice. Il y a beaucoup de bien qui se fait par des gens qui SE font d’abord du bien!

Raisonnable?

Un dernier point : si je veux être raisonnable, il faut qu’on soit capable de me raisonner! Ça suppose accepter l’analyse, la critique. Ça suppose le débat, la confrontation. Mais ça, c’est un autre sujet.

Je veux mener ma vie en m’occupant bien de moi, en tenant compte des autres, dans une perspective communautaire et planétaire. J’espère simplement que lorsque je mourrai, ce qui arrivera bien un jour, la Terre sera un peu meilleure. Ne serait-ce que par le bonheur que j’aurai permis aux autres de me donner!

Ce qui n’est pas si simple, en passant…

(Note : Pour ceux et celles qui lisent l’anglais, une bonne partie de ma réflexion vient d’un article de S.Uhl, sur la page Web suivante :

http://www.infidels.org/kiosk/article826.html)

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