12/08/2006

Mon père, je m’accuse…

Non, je ne suis pas au confessionnal de Loft Story, je viens juste de me rendre compte d’une de mes grandes limites (et une de mes petites forces!) : je suis un baratineur invétéré. Je sais conjuguer le verbe baratiner à toutes les personnes, tous les temps, tous les modes. Et même toutes les modes…

Je lisais dans Le Devoir de cette fin de semaine un texte de Fabien Loszach (un autre Fabien!), doctorant (faut le faire!) en sociologie à l’UQAM. Le sujet? Le baratin. Surtout dans la ligne d’un essai d’un dénommé Frankfurt, On Bullshit. Frankfurt dit que la production de boulechitte est « stimulée quand les occasions de s’exprimer sur une question donnée l’emportent sur la connaissance de ce sujet. »

D’un côté, il paraît que le baratin est favorisé par notre tolérance. Combien de fois écoutons-nous à la télé ou à la radio de pseudo experts parler pendant cinq minutes pour nous informer de rien. Zéro, boulechitte. Mais qui écrit aux médias pour le dire?

D’un autre côté, nous avons l’obligation, de nos jours, de tout savoir. Alors, si nos enfants nous posent des questions, allons-nous dire « Je ne sais pas »? Non, nous allons nous lancer dans une longue explication pas trop compromettante, probablement en utilisant du vocabulaire que l’enfant ne comprend pas. Je me souviens d’un exhibitionniste que nous avions rencontré, quand nous étions petits, qui se promenait la braguette entr’ouverte avec le pénis en érection. Je demande à ma mère pourquoi il faisait ça. Elle me répond que le monsieur ne peut tolérer le contact des vêtements sur son pénis. Boulechitte. On fait tous ça, quand les questions de nos enfants nous embêtent.

Enfin, le relativisme ambiant n’aide pas non plus. Plus rien n’est vrai. Ou plutôt, la vérité est subjective. Ne reste que la sincérité.

La sincérité est mère du baratin. C’est vrai, tu dois me croire, car j’y crois sincèrement. Avec ça, on nous vend n’importe quoi. Je pourrais vous parler du baratin dans la publicité, ou en politique, mais tout le monde connaît ça.

Non, moi, ce que j’ai découvert, c’est que je suis et que j’ai toujours été un excellent baratineur. Et je pense que j’ai trois qualités qui m’ont amené à développer ce défaut.

La première, la séduction. Je « dégage », il paraît. Même si je ne sais pas exactement ce que ça veut dire. J’étais le petit frisé à qui tout le monde passait la main dans les cheveux. Ça m’horripilait, mais je prenais quand même le message que j’étais aimable. Mais je n’ai pris conscience de cette forme de pouvoir que tard. Une fois, par exemple, j’avais une élève qui était obsédée par le suicide. Le genre qui dessine continuellement des cordes, des pistolets, des boîtes de pilules. J’ai commencé à l’aider en français, puis elle a commencé à se confier à moi. L’animateur de pastorale connaissait son problème et est venu me sonder, voir un peu comment je l’accompagnais. Je me suis entendu dire « Elle ne se suicidera pas, je vais la séduire ». Mettons que le visage lui a allongé. Mais ce que je voulais dire, c’est que j’établirais des liens qui lui rendrait difficile le passage à l’acte. Mais ne venez pas me demander si ma démarche était fondée, en psychologie. Elle n’avait qu’une qualité, elle fonctionnait.

Ça m’amène à la deuxième qualité : l’intuition. Que de choses j’ai faites parce qu’elles « fonctionnaient », sans trop savoir pourquoi, sans avoir de base théorique pour m’appuyer. Que d’ « observations » j’ai faites aux parents de mes élèves qui n’étaient que des intuitions. Je n’avais pas le choix : c’est comme ça que je fonctionne. Mais, objectivement, c’était de la boulechitte!

Troisième qualité, l’intelligence. J’ai une bonne intelligence. Ce n’est pas pour me vanter : comme directeur à Schefferville, j’ai eu accès à mon dossier quand j’étais étudiant, y compris les tests de quotient intellectuel, et c’est pas bon pour l’humilité! Mais je dis tout de suite que l’intelligence pure, finalement ça ne veut rien dire. Avec des notes moyennes et des échecs réguliers en science et en math, il n’y a pas de quoi se vanter.

Justement, ces difficultés en math et en science auraient dû mettre la puce à l’oreille de mes professeurs. Difficile de baratiner dans les équations chimiques. C’est d’ailleurs un de mes profs de sciences qui a eu l’intuition le premier (ou qui l’a exprimé!) . Il dit à ma mère, lors de la rencontre pour les bulletins : « Fabien a l’air de tout savoir, mais il ne sait rien. ».

Voilà : Fabien est un baratineur.

En fin de carrière, je disais à des collègues : « Il y a une chose que je regrette, c’est que j’ai été un prof ignare. » On a ri de moi. « Voyons donc, Fabien. Quand on était en panne, c’est toi qu’on allait voir. » Bien oui, elles venaient me voir. Et je leur donnais une réponse. D’intuition, souvent. C’est à peu près la seule connaissance du français que j’avais. Recherche, aussi. Intelligence. Et je faisais une blague : « Venez me voir, vous allez avoir une réponse rapide et ferme. Si c’est la bonne réponse, ça, c’est autre chose… »

Mais l’endroit où je m’accuse d’avoir le plus baratiné, c’est dans ma démarche religieuse. Ça convient toujours très bien, en religion, de s’accuser!!! J’ai été une personne très religieuse. Ce qui ne veut strictement rien dire! Servant de messe avant même d’aller à l’école. Le prêtre disait : « Introibo ad altare Dei. » Et je répondais : « Ad Deum qui laetificat juventutem meam ». Peut-on trouver plus baratin que cela? Et quand j’ai su lire, et que j’ai compris que ça voulait dire : « Au Dieu qui réjouit ma jeunesse… », j’étais pas plus avancé.

Mais le vrai baratin religieux a commencé en troisième secondaire, lorsque nous avons déménagé à Schefferville. Mes parents voulaient que je continue mes études classiques : nous sommes allés voir Mgr Scheffer, qui a offert à mes parents de payer une partie de mes études si j’allais au Séminaire des Oblats, à Chambly. J’y ai passé un an, avant qu’on me demande de ne plus revenir. Je n’avais pas la vocation. Mais je me souviens d’une cérémonie de « prise de la petite croix » où je ne me sentais pas vraiment à ma place. Il y a un bout au baratin!


Je pense que la démarche de préparation au mariage a aussi donné bien de la place au baratin! D’autant plus que nous étions éloignés, Monique et moi, et que nous faisions la démarche par correspondance. Par écrit, je suis encore meilleur pour baratiner! (La preuve!) Je me souviens d’une réflexion d’un cousin de Monique à qui elle avait montré mes lettres, qui avait dit que nous aurions avantage à être plus simples… Je me suis senti visé!

Le top du baratin? Là où j’ai été à mon meilleur? C’est lorsque nous avons fait l’expérience des Cursillos, puis de la Famille Bethléem, de la communauté ouvrière, des groupes de prière…

Je comprends aujourd’hui que toute démarche religieuse mène au baratin, tout respect dû à ceux qui y croient encore. Par définition, la religion est basée sur une foi, sur une histoire qu’on se raconte et qu’on raconte aux autres. Si quelqu’un nous demande d’étayer nos dires, on est vite obligé de recourir à l’Esprit-Saint, à l’inspiration, aux miracles, aux apparitions, à l’intuition et finalement, à l’autorité du Baratineur Suprême. Par définition, la foi ne se prouve pas.

Et alors, on se sert, finalement du baratin de quelqu’un pour appuyer son baratin, et d’autres baratineurs feront des études comparatives de baratins, feront l’exégèse du baratin, feront des canons de baratins acceptés et baratins refusés. Mettront des baratins à l’index pour protéger leur propre baratin…

Voilà, c’était mon baratin du matin. Mais admettez, au moins, que je suis sincère!

Et je vous laisse avec une pensée qui me trotte dans la tête depuis une couple de semaines. Je ne l’ai probablement pas inventée, mais je ne sais pas d’où elle vient :

« La vérité, pour un être changeant,
Ne sera jamais que celle d’un moment. »