9/14/2010

Moi, à l’hôpital?

Quand mes amis me demandaient si j’allais bien, je répondais toujours : « Très bien… » Mais j’ajoutais souvent : « …tout étant relatif… C ou encore « …jusqu’à preuve du contraire ». Je ne savais pas si bien dire…

Il y a un moment que je me sens fatigué. Le retour des derniers voyages de pêche, l’an passé, le remplacement de nos portes et fenêtres, en décembre… J’ai trouvé ça pénible. Je ne fais plus de vélo…

Cette année, quand je revenais de la pêche, je disais souvent à Monique : « Ça me fatigue tellement, la pêche, que je pense que bientôt, je ne pourrai plus y aller.»

Mais j’étais quand même en forme. Je courais mes 4 Km quotidiens jusqu’à ce printemps. Puis j’ai dû me mettre à la marche rapide : mes vertèbres se plaignaient du manque d’huile. J’ai eu des blocs facettaires qui n’ont pas changé grand’chose. Je n’ai pas beaucoup marché lors des grandes chaleurs, mais quand j’ai pu m’y remettre, j’ai raccourci le trajet. Dimanche et lundi passé, comme je voulais travailler un peu à la rénovation d’un placard, je ne suis pas allé marcher : trop peur de manquer d’énergie.

Le lundi, dans l’après-midi, chaque fois que je montais l’escalier, j’arrêtais en haut : j’étais essoufflé, le cœur me battait fortement comme une vieille machine mal huilée… J’avais peur.

Le mardi, comme il y avait une fenêtre de beau temps, je suis allé sur le fleuve. Vers 15 h, j’ai commencé à sentir mon cœur qui en arrachait. Mais j’étais tellement convaincu que mon état était grave que j’y suis resté jusqu’à l'heure du souper. Puis j’ai ramassé mes affaires dans la chaloupe, je l’ai recouverte de sa toile et j’ai apporté mon matériel à l’auto. Puis j’ai repris mon souffle en attendant d’appeler Monique : je ne voulais pas l’inquiéter. J’en ai profité pour contempler le fleuve, une dernière fois. Car pour moi, c’était la dernière fois…

Retour sans histoire à St-Liboire, mais arrivé à la maison, il fallait ranger mon matériel et arranger mes deux pauvres petits poissons… Je n’en avais pas la force.

Je me suis assis dans mon fauteuil préféré pour reprendre mon souffle et j’en ai profité pour prendre ma pression sanguine. 150 sur 100. Un peu haut. Mais c’est mon rythme cardiaque qui a tout déclenché : 90 pulsations/minutes, au lieu des 50 ou 55 habituelles. « Monique, c’est quoi le numéro d’Info-santé? » J’appelle et la répondante me convainc d’aller à l’urgence… Ouais, pas drôle… Les poissons ont pris le bord de la poubelle et nous sommes partis.

L’URGENCE

Arrivé à l’urgence, qu’est-ce que je fais? Aucune indication. Il y a un bon groupe de personnes dans une pièce vitrée. Des patients en attente, sans doute. Des chaises du long du mur, un long jeune homme assis, en attente aussi. Une porte marquée triage. Fermée. De l’autre côté, du personnel devise joyeusement. N’ont pas de problème, eux. Plus loin, un guichet pour l’admission.

Nous hésitons, Monique et moi. Monique fait un pas vers le guichet, mais le jeune homme nous dit qu’il faut s’asseoir là. On s’assoit. Une demi-heure passe. Faut pas être dangereusement malade si ça prend une demi-heure avant de passer au triage! J’imagine que si je m’étais évanoui, on se serait occupé de moi. Morale de cette histoire : si vous êtes vraiment un cas d’urgence, arrivez en ambulance!

Mais lorsque le système vous prend en charge, ça y va par là! Un peu de température? Tylénol. Pression sanguine. Oxygène sanguin. On me met sur l’oxygène. Branché sur le moniteur cardiaque, visite d’une technicienne avec un électrocardiographe portatif. Radiographie cœur-poumon. Électrocardiogramme. Auscultation minutieuse du cœur et des poumons à tout bout de champ…

Le cardiologue me pose des questions et quand il revient, il fait la grimace : mes symptômes n’entrent pas dans sa grille… « Je vais commander une prise sanguine spéciale, pour un test d’embolie pulmonaire. » Oh, que ça tombe lourd dans le cœur d’un sourd qui n’est pas sourd à tout…

Le test est positif, alors on me connecte sur un sac d’héparine, et rush! On veut un scan… Deux caillots, un dans chaque poumon, le plus gros à droite. Un nodule dont on s’occupera plus tard…

Mercredi, on me transfère dans une autre salle d’observation pour libérer le moniteur cardiaque. Je suis en attente d’hospitalisation. On me transférera à l’étage jeudi matin.

J’ai toujours un tube d’oxygène dans le nez, un autre d’héparine dans le bras. Pression, température, saturation du sang en oxygène, prises sanguines… Autre scan, du tract digestif, cette fois. Autres radiographies, où on me tourne comme une saucisse sur le BBQ…

Je suis dans une chambre avec un autre homme âgé probablement très souffrant, qui se plaint continuellement. Il a mal aux os et comme il est incontinent, il a des plaies qui brûlent lorsqu’on le lave. Je l’appellerai M. Ayoye. « Ayoye… Ayoye, tab…. Ayoye colisse… Ayoye… » À longueur de journée.

Je vais marcher dans le corridor. Je dors un peu. (J’essaie …)

Je vois le pneumologue et la femme médecin par défaut sur l’étage : mon médecin n’est pas affilié à l’hôpital. Il va plutôt à l’Hôtel-Dieu, pour les soins de longue durée. Mais ça complique un peu la vie pour le suivi de l’hospitalisation.

On me donne du Coumadin pour éclaircir le sang et de l’Innohep en injection en attendant que le Coumadin fasse son effet. Comme je devrai me donner moi-même les injections, on me montre à le faire. Je suis un peu nerveux, mais finalement, y a rien là. On m’enlève le tube d’oxygène, puis celui d’héparine.

Vendredi, la femme médecin me dit qu’elle pourrait me laisser sortir pour la fin de semaine, étant donné qu’il ne se passe rien à l’hôpital, mais comme il n’est pas facile d’organiser le suivi avec mon médecin de famille, elle préfère me garder sous observation. Pourtant, dimanche, elle me dit qu’elle me laissera partir dès que j’aurai vu le gastro-entérologue. Le problème, c’est qu’il faut chercher d’où viennent les fameux caillots…

J’étais bien content de retourner à la maison, vous pensez bien! J’ai eu la visite de Jean-Pierre et de Renée-Claude et sa famille dimanche, Murielle lundi. Renée-Claude a fait ma pelouse, Patrick a travaillé dans le jardin. On s’organise.

Je prends du Coumadin chaque soir, je m’injecte de l’Innohep. Chaque matin, je vais à l’hôpital pour une prise de sang. On me rappelle ensuite pour me dire quelle dose de Coumadin je dois prendre le soir. Quand on aura équilibré mon sang, je cesserai les injections et les prises de sang vont s’espacer.

Mais ça n’est pas fini : je vais en médecine nucléaire demain pour une scintigraphie osseuse, jeudi pour un lavement baryté… Il me restera une côleoscopie… Rien de bien tripant!

J’ai repris lentement mes activités, mais il me faut y aller mollo. Premièrement parce que l’hôpital, ça affaiblit. Deuxièmement, parce que ma capacité respiratoire n’est pas encore à 100%.

Suffit d’éviter les chutes. Ça pourrait envoyer le caillot dans le cœur, et ça, c’est « cric »… Les coupures, les fractures : une fracture ouverte chez quelqu’un qui a le sang clair comme de l’eau, c’est pas évident à soigner.

Mais je vis avec un revolver sur la tempe et le chien est levé…

ANECDOTES

—Une de mes anciennes élèves était préposée sur l’étage où j’étais hospitalisé. Je lui ai rappelé ce que je leur disais en classe, quand j’étais enseignant : « Il faut que je vous respecte, car plus tard, c’est peut-être l’une d’entre vous qui sera à l’autre bout de la seringue! »

—Lorsque j’ai vu qu’on me donnait de l’héparine, j’ai fait une blague à Monique : « Une chance que ce n’est pas du Warfarin! » Je lui expliquais que le Warfarin, c’est du poison à rat. Eh bien, nous avons découvert plus tard que l’Héparine, C’EST de la Warfarine!!!

—Nous avions visité mon père à l’urgence quelque temps avant sa mort. Il y avait une dame qui hurlait son chapelet sans arrêt. Eh bien mon voisin de chambre avait lui aussi son chapelet : « Ayoye… Ayoye calisse… Ayoye… Ayoye tabarn… »

—À l’urgence, un vieux monsieur ne voulait rien savoir de mettre une jaquette d’hôpital. Petit homme sec, avec une fine moustache blanche, il avait du nerf! Il voulait s’en aller par la porte des ambulances et une infirmière essayait de lui barrer la route. Je craignais pour elle, il était violent. Soudain, le vieux monsieur tourne les talons et revient. C’est que l’agent de sécurité, un colosse de 6 pi 4, 300 lb, venait d’arriver pour sa ronde! Plus tard, nous l’avons entendu crier, puis nous l’avons vu avec une jaquette d’hôpital par-dessus sa chemise et sa cravate! Une infirmière le faisait sortir d’une réserve de linge : il cherchait encore la porte pour sortir!

—Je regardais, par la fenêtre au bout du couloir, le coucher de soleil sur la ville. Une employée me dit : « C’est beau hein? » Je lui réponds : « Sais-tu ce que je vois, moi? Tu vois le clocher de Saint-Thomas, là. Plus loin, il y a Saint-Denis, puis Contrecoeur. Et à Contrecoeur, il y a mon bateau! » Éclat de rire. Une heure plus tard, je suis toujours devant la fenêtre. L’employée revient : « Vous ne me ferez pas accroire que vous voyez encore votre bateau, vous, là… »

—Dans le couloir, il y a un grand gaillard qui a de la difficulté à marcher, sclérose en plaques peut-être? Il marche continuellement, assez rapidement, avec un gardien de sécurité qui le suit pas à pas. Je me suis imaginé que le gardien de sécurité était là pour le protéger, pour le relever en cas de chute, pour protéger les autres patients. Vendredi, il a marché de 7 h du matin à 11 h du soir! Mais j’ai compris pourquoi un gardien de sécurité le suivait : c’était un fugueur! Il n’avait l’air de rien, et tout à coup, zoup! Il était dans l’ascenseur!

—Un moment donné, j’ai fait une blague. Je lui ai dit : « Toi, je sais c’est quoi, ton job! Tu es chargé de tenir ce gars-là en forme! » Il me répond : « Vous, vous parlez comme un pape. Vous dites la vérité ». C’était une erreur : ce monsieur était un raconteur invétéré d’histoires. Or moi, les histoires qui sont drôles parce que le personnage rentre son bras dans le cul de l’autre jusqu’au coude, ça me laisse un peu froid, mettons…

—Un infirmier me heurte et s’excuse en me caressant le dos : « J’voulais pas vous faire mal… » Ouais, je me doute que tu voudrais bien me faire du bien! Aïe, je pogne encore!

—On vient changer la culotte d’incontinence de mon voisin et ça sent vraiment fort! La préposée revient avec un vaporisateur, en pousse une couple de jets vers le lit de mon voisin et en passant en face de moi, en pousse un jet vers moi. « Aïe, tu es supposée faire ça APRÈS avoir changé ma couche et non avant! » Elle me répond : « Ah, vous voulez que je change votre couche, vous? »

—Je jase avec un monsieur qui a la caractéristique de ressembler à mon frère Martial. Je lui dis que c’est comme secondaire, mais ce qui me tracasse, c’est que ma saison de pêche semble bien finie. Il me dit : « Moi, je devais prendre l’avion pour l’Europe, aujourd’hui… » Tout est bien relatif, hein?

—Je vois une vieille dame en chaise roulante qui pleure. Elle raconte à une préposée qu’elle a mal aux jambes. La préposée lui demande si elle en a parlé à son infirmière. J’imaginais une pauvre dame qui vient à l’hôpital pour la première fois… Le soir, je la vois larmoyante avec une autre préposée : « Moi, je me sens en pénitence… Juste un lit, un fauteuil… » Triste.

—Une préposée est en train de nettoyer les fesses de mon voisin qui hurle de douleur parce qu’il a des plaies et que ça brûle. La préposée, impatiente, lui dit : « Monsieur, je vous lave les fesses et je ne fais que ça! » Il lui répond : « J’espère! »

—Une autre fois, pendant qu’on lui change sa culotte et qu’on le nettoie, mon voisin laisse filer un pet. La préposée fait un pas en arrière et lui dit : « En avez-vous d’autres comme ça? » Éclats de rire!

—Je regarde par la fenêtre. Je vois un jeune papa qui arrive avec un garçon d’environ 4 ans qui porte un sac à dos et qui insiste pour porter une coquille vide pour bébé. Un moment donné, c’était trop lourd : le garçon demande à son père de porter son sac à dos. La coquille était plus importante. Je me suis fait l’image d’un papa et de son fils qui venaient à l’hôpital chercher le dernier-né et la maman…

—Toujours par le fenêtre, je vois un jeune homme qui pousse une personne âgée en chaise roulante. À un moment donné, il bifurque vers la pelouse et je me suis dit qu’il aurait de la difficulté à pousser la chaise dans l’herbe. Mais non, il voulait juste installer son père à l’ombre. Puis il s’est laissé tomber dans l’herbe et s’est mis à parler avec son paternel. Il avait l’air d’un petit garçon. Plus tard, je me suis rendu compte que le monsieur était sur mon étage. L’affection qu’il y avait dans son ton quand il est parti : « Bonsoir, Papa! »

OBSERVATIONS en vrac…

Je suis sensible aux relations humaines. Pas étonnant que j’aie noté des choses dans le domaine.

Par exemple, l’urgence. Ça serait compliqué d’avoir un écriteau qui dit « À votre arrivée, assoyez-vous ici : on viendra vous chercher »?

Une fois que vous êtes pris en charge, par contre, à l’urgence, on communique bien. On vous explique ce qu’on fait, pourquoi on le fait. Mais sur l’étage, il y a de longues journées où on ne vous dit rien. Venez ici, allez là, assoyez-vous sur la chaise, etc. Une chance que le médecin passe une fois par jour!

Les nuits à l’urgence, c’est l’enfer. On a évidemment besoin de vous suivre de près. Mais ces ambulanciers qui sont arrivés à une heure du matin avec une patiente, qui ont coordonné à haute voix leurs efforts pour la transférer sur la civière, qui ont heurté ma civière avec la leur, ils ne pouvaient vraiment faire attention?

Cette personne qui est arrivée à 11 h 30 avec sa sœur, sa fille ou son amie, pourquoi l’a-t-on laissé pérorer jusqu’à 1 h du matin?

Imaginez la situation de la vieille personne sur une civière au bout de la mienne. Elle doit essayer d’uriner dans une bassine alors qu’elle n’a pas de rideau pour protéger son intimité. Et cette vue que j’avais de ma civière sur la porte de la toilette qu’on laissait entrebâillée… Triste…

Je faisais l’observation à une infirmière que je trouvais qu’au plan technique, le système fonctionne plutôt bien. Mais qu’au plan humain, par contre… Elle m’a répondu : « Relations humaines? Moi, Monsieur, je devais travailler à tel étage, ce matin. À mon arrivée, on m’a envoyée à un autre étage. Et à 8 h et quart, on m’a envoyée ici. Alors, moi, les relations humaines, j’en ai jusque-là… » On peut comprendre.

Un matin, cette semaine, en attendant en file pour ma prise de sang, une jeune femme enceinte était appuyée sur le mur et il était évident qu’elle allait s’évanouir. J’ai pris une chaise à quelque pas et elle l’a prise avec un pauvre sourire. Lorsqu’est passé son tour, on lui a dit de retourner dans la salle d’attente, le temps qu’on fasse venir son dossier des archives. La jeune dame a sans doute mentionné qu’elle se sentait mal. La préposée a répondu : « Pas le choix, Madame, c’est comme ça que ça fonctionne, un hôpital. Retournez… » Compassion, connais pas. Le système est peut-être inhumain, Madame, mais vous, vous n’avez pas besoin de l’être…

Le lendemain, la chaise que j’avais déplacée était toujours là et des personnes l’occupaient à tour de rôle. « Ma chaise » répondait à un besoin, visiblement.

Quand je suis arrivé à l’étage, une infirmière m’a accueilli avec son plus beau sourire commercial, et s’est exclamée : « Le petit nouveau du 608! » Puis elle a observé le cathéter sur mon bras en me disant : « Je fais mon petit visuel »… Sous-entendu, regardez comme je suis compétente! Une autre employée arrive : « Ah, le p’tit nouveau! » Pourquoi « petit »? Je suis d’une stature moyenne, à 5 pi 8. À moins qu’elles aient un mot virtuel qu’on n’entend que dans leur tête : « Le p’tit vieux… »

Autre observation : le cardiologue et le pneumologue, personnes éminemment compétentes, avaient la même attitude en entrevue. Ils t’écoutent, mais à travers la grille de leur spécialité, et les symptômes que tu essaies de décrire le plus précisément possible, mais qui ne correspondent pas à leur grille, ils les rejettent du revers de la main. C’est pas physique, mais presque… Combien de fois doivent-ils se rendre compte qu’ils ont passé à côté d’une maladie parce qu’ils n’avaient pas vraiment écouté!

Par contre, le cardiologue qui a prescrit la prise de sang pour vérifier la présence d’une éventuelle embolie a une qualité : c’est pas un lâcheur! Vos symptômes ne sont pas ceux d’une crise cardiaque? On va essayer une autre chose.

CONCLUSION

Le milieu hospitalier que j’ai trop brièvement connu m’a bien traité. La plupart des employés sont compétents, ont un regard humain sur vous et une dose d’humour pour faire passer le plus difficile.

J’en sors encouragé… Quoique, au plan personnel, je ne sois pas encore sorti du bois! Je vais bien, mais tout est relatif…

Mais le plus beau, c’est que qui s’est passé entre Monique et moi. Monique qui m’a accompagné, qui est venue à l’hôpital chaque jour et qui était en train de se jeter à terre. À l’urgence, nous avons eu des accès de fou rire : l’émotion, l’angoisse se traduisent souvent de cette façon. Monique s’est inquiétée pour moi. Je me suis inquiété pour Monique. Après 43 ans de mariage, nous nous aimons encore.

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