2/10/2013

Calendrier de l'amour


Voici le texte que j'avais envoyé à Patrick Lagacé, de La Presse, pour sa série sur l'amour. Il n'a pas pu tout mettre, évidemment. Mais je suis content qu'il ait aimé.

Calendrier de l’amour

Ah, l’amour. J’ai pensé faire un calendrier de mon cheminement, histoire de nommer des choses. Il y aurait un livre à écrire avec ça. Ne nous inquiétez pas, je vous l’épargnerai!

5 ans : Je quitte à la sauvette le magasin général (je suis de cette génération!) en criant à la fille du propriétaire : « Salut, ma blonde! » Je n’ai jamais su quelle a été la réaction des clients et flâneurs habitués…

7 ans : Au retour d’une visite scolaire à l’église, « en rangs  » les filles d’un bord, les gars de l’autre,  la même petite brune un an plus vieille que moi prend ma main et dit à ses amies : « Lui, c’est mon chum! » Je suis au paradis!

10 ans : Au retour d’une journée à un lac de villégiature, je m’arrange pour être à côté d’une fille un peu plus vieille que moi que ma mère trouvait bien délurée. Elle s’endort la tête sur mon épaule. J’ose lui embrasser les cheveux. Puis je m’endors aussi. Ma mère me traitera de « petit maquereau » pour m’être approché d’elle. Début de la culpabilité janséniste pour moi.

14 ans : Je reçois une lettre anonyme d’une fille  qui me donne rendez-vous dans un parc, le vendredi soir suivant. Elle portera un foulard bleu, me dit-elle. Malheureusement, chez nous, on n’a pas la permission de sortir le soir. Et puis, on se prépare à déménager et il y a trop à faire. Je ne connaitrai jamais mon petit foulard bleu, mais je me suis senti reconnu. Soupir…

15 ans : Mon premier baiser…  elle s’appelait Vivian, ne parlait pas français, mais de toute manière, ce n’est pas cette langue-là qui m’intéressait! On jouait  à un jeu de jeunes dans un édifice abandonné, sorte de jeu de cachecache où on embrassait la fille que l’on trouvait. Vivian était une experte et sa langue me menait au nirvana!  Ah, les hormones!!!

16 ans : Mon premier échec. Je reviens d’un séjour à un hôpital lointain et j’apprends que ma blonde du moment était allée au cinéma avec un autre. Je me rends chez elle pour la confronter. On jase un peu, puis je finis par lui demander si c’est fini, nous deux. Le père de la belle en avait assez entendu et me mit à la porte manu militari. Ah, que je me suis senti incompris! Quelle belle nuit à ressasser ma douleur…

20 ans : Je suis attiré par la présidente des élèves infirmières d’une école voisine de l’école normale de gars que je fréquente. Drôle de fille qui avait le don de garder le contrôle de la situation. Je n’arrivais jamais à l’embrasser, c’est elle qui le faisait, mais jamais sur la bouche. Frustrant!  Par contre, nous étions sur la même longueur d’onde et nous sommes rencontrés souvent. C’est elle qui m’a montré que l’amour, c’est autre chose qu’une attirance physique. Par contre, moi, j’ai glissé dans une relation d’amitié, plus proche de la fraternité. Lorsque j’ai été finissant, elle a fait des approches pour qu’on aille plus loin, mais moi, je ne la désirais plus. Mais je l’ai toujours aimée et l’aime encore.

Ne vous inquiétez pas, ma femme est au courant. Dans le fond, s’il y a une destinée, Madeleine (nom fictif) m’a préparé à rencontrer ma femme.

21 ans : Je quitte ma blonde la journée de sa fête après lui avoir donné un cadeau somptueux pour des moyens d’étudiant… Je crois aujourd’hui que c’était pour moi une « fuck friend » avant l’époque et la mode… Fuck friend avec qui je n’ai jamais couché : les jansénistes réservaient la pénétration pour le mariage! Faut dire que la fille était jeune et que sa mère parlait de mariage : j’avais l’impression qu’elle voulait se débarrasser de sa fille… Mais en réalité, probablement, elle voulait simplement qu’on se marie pour éviter que sa fille devienne une mère célibataire et fasse honte à sa famille.

22 ans : Je sors brièvement avec l’institutrice dans la classe de qui je fais mon stage d’enseignement au primaire. Erreur. Je ne l’aime pas vraiment, mais elle me voue un amour passionné. J’aurai de la misère à m’en débarrasser, elle me harcèlera jusqu’à mon école. Je devrai employer des mots durs que je regretterai, bien sûr, j’ai été bien élevé. Heureusement, à cette époque, on se confessait encore chez le curé et cela avait un effet magique sur la culpabilité. Ou pas…
24 ans : LA rencontre.  Elle accompagnait mon frère lors du bal de graduation de ma sœur. Dans ce temps-là, la famille proche était invitée à se joindre aux célébrations.

Moi, j’étais  accompagné d’un « blind date », jolie fille intelligente qui ne m’intéressait pas du tout. J’avais toujours l’œil sur celle qui accompagnait mon frère.

Au retour vers la maison, je prends le volant et à un moment donné, on s’arrête pour consulter ma sœur et son copain qui suivent dans une autre auto. On va manger où?

Pendant que mon frère descend pour s’entendre avec les autres, je dis à celle qui l’accompagnait : « On part tu? »  Elle me répond d’un oui rieur.

L’idée était de commencer une sorte de jeu de poursuite en auto. Sauf que mon frère, fatigué, décide d’aller se coucher.

Nous passons la nuit à se promener en auto. On se cache dans un parking discret pour regarder les photos de la famille que ma future épouse a dans sa bourse et on attend patiemment que l’heure de la messe arrive. Eh oui, c’est l’époque… On va à la messe, le dimanche.

Cette petite brune est comme Madeleine. En contrôle. Tellement que lorsque je réussirai à l’embrasser, après quelques mois de fréquentation, j’aurai l’impression d’une victoire et elle d’une défaite! Ah, je l’ai conquise de haute lutte!

Elle m’enverra des photos avec un mot gentil et je lui répondrai plus longuement. Comme nous vivions dans des villes éloignées, l’essentiel de notre fréquentation prendra une forme littéraire. Nous devons avoir encore ces lettres dans une boite poussiéreuse quelque part dans la remise.

Les choses sont allées vite : connaissance en juin, décision de se marier en octobre, fiançailles à Noël et mariage en juillet. Voyage de noce de trois semaines, jusqu’au bout de l’argent qu’on avait!

On n’avait pas couché ensemble avant de se marier, on avait du retard à reprendre!!!

27 ans : Notre premier enfant. Le médecin dit que c’est un garçon, mais je m’en fous, il est né, le divin enfant. Je vis une sorte d’orgasme affectif dans un sanglot venu du fond des tripes. Je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi intense.

Nous en aurons trois autres, sur une période de dix ans. Et nous avons aujourd’hui treize petits-enfants!

Je fais un long saut, j’ai aujourd’hui 70 ans, je vis avec Monique depuis 45 ans. Nous nous aimons toujours, mais mettons que les hormones sont au ralenti.

Je pense parfois que nous sommes devenus des colocs affectueux. Elle a dans la maison son territoire où elle fait de l’artisanat. J’ai mon local avec mon ordinateur, ma caméra pour les oiseaux. Il y a le jardin dehors, une chaloupe sur le fleuve.

Il y a les petits-enfants  à garder, les amis à voir.

Justement, hier, on a enterré une amie. 77 ans, cancer généralisé. Son mari, mon ami, mon frère, me disait il y a quelques jours : « Tu sais, Fabien, que nous allons la perdre » Ah, ce « nous »… L’amour à notre âge, n’est pas face à face. Il est  englobant.

Mon ami, bientôt 80 ans, me disait aussi : « Il ne me reste que quelques jours pour l’aimer »… Hier, aux funérailles, il s’est levé pour faire d’une voix ferme un hommage à sa femme. J’y ai vu beaucoup d’amour.

Je conclurais que l’amour nous prend de l’intérieur par les hormones. Quand, à 16 ans, je dansais un slow avec ma blonde et que je l’embrassais et la serrais dans mes bras en disant  des « Je t’aime » éperdu, j’aurais dû dire : « Je m’aime, je m’aime… »

J’ai lu quelque part que l’amour commence lorsque la lune de miel est terminée.

L’amour, c’est aussi une culture. J’ai vécu l’amour janséniste, avec son arrière-gout de culpabilité. Nos jeunes sont plus libérés, trop parfois.

Il y a chez nous des intégristes qui vivent l’amour différemment.

Reste que l’amour est affaire de compromis. Sans compromission.

On aime parfois voir l’amour comme dans les films ou les romans. C’est une erreur. Ça, c’est aimer l’amour, pas aimer l’autre.

Je lis ma petite-fille sur Facebook. Quel romantisme … Ah, que je souffre… que je souffre… Ou Ah, que je trippe!

L’amour viendra.








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