12/28/2007

Faisons le point

Si on résume les observations précédentes, qu’est-ce qu’on a?

— On a un petit garçon plongé dès sa naissance dans la culture religieuse de l’époque, basée sur la tradition, la peur de la sexualité, la fréquentation des sacrements.

— On a un petit garçon normal au plan du développement de sa génitalité que l’on convainc que les pulsions qu’il ressent ne sont pas acceptables.

— On a un préadolescent prêt à se faire prêtre pour faire plaisir à sa mère. Mais ça n’est pas une fondation bien solide pour une vocation!

— On a un adolescent qui fait l’expérience douloureuse du conflit insoluble entre sa sexualité et sa spiritualité. Que doit-il faire? Devenir un ange ou être un homme? Il choisira d’être un homme, c’est plus réaliste… Mais il garde la nostalgie de l’ange qu’on lui a fait croire qu’il pouvait être. Non, qu’il DEVAIT être.

— On a un jeune homme qui continue à fréquenter l’église, mais dont la « pratique » concrète s’éloigne de plus en plus de l’enseignement de l’Église. En fait, l’Eglise n’existe tout simplement pas pour lui.

— Il se marie à l’église, parce c’est ce que sa culture veut. Il a des enfants sans en sentir fortement le désir. Lui et sa femme suivront des méthodes « naturelles » de limitation des naissances, mais sans le dire, il n’adhère pas à l’idéologie religieuse qui motive ce choix.

— Les enfants seront baptisés, comme la culture le veut. Ils seront élevés dans cette culture religieuse.

— Le jeune couple fait l’expérience de la rencontre de Dieu dans le mouvement des Cursillos, du moins, il le croit. Il se met en route, passant d’une communauté à l’autre, d’un mouvement à l’autre cherchant le meilleur moyen de vivre sa foi.

— Le jeune couple devient désillusionné et cesse progressivement sa fréquentation de l’église.

— Le couple plus si jeune devient agressif face à l’église. Il est tenté de brûler ce qu’il a adoré, quoi… C’est souffrant.

Un couple désillusionné, donc. Qui a perdu ses illusions. Je suis rendu à l’étape du deuil qui consiste à prendre conscience du manque. De ce qui ne reviendra plus.

Prendre conscience des espoirs déçus. Pour ensuite voir sur quelles bases fonder l’avenir du pèlerinage!

Je pense que le premier deuil à faire, c’est celui de la perte du sens. La religion avait vraiment donné un sens à notre vie. Nous y avions investi nos énergies, et même notre argent. Nous y prenions beaucoup de place comme animateurs. Nous nous sentions reconnus. Nous avions l’impression d’être un peu meilleurs.

Mais il n’y a pas de salut, parce qu’il n’y a pas de damnation. L’être humain est mortel, l’être humain est limité. C’est sa nature.

Deuil à faire aussi, mais prix à payer pour devenir adulte : perte du regard enfantin. Nous nous sommes émerveillés de si belles histoires! On nous a fait vivre de si belles cérémonies! On s’est fait enfumer de tant d’encens…

Désillusion aussi face à l’Église prétendument sainte…Faut lire les Mémoires d’Hans Kung sur les magouilles canoniques lors du concile Vatican II pour comprendre que celui-ci a donné naissance à un festival de la Sainte Hommerie!!!

Désillusion face à cette Église qui nous a caché des choses. Et nous en cache encore. Pour protéger notre foi. Quelle est donc cette foi qui a peur de la vérité? On nous a traité comme des enfants, on nous a manipulés.

Désillusion face à cette Eglise de pécheurs qui se présentent comme saints. Église de pharisiens. J’ai tout ça en moi encore, mon ami Alexis passe son temps à me reprendre. Faut pas juger. On n’est pas meilleurs. Église d’hypocrites.

Hypocrisie qu’on n’a pas à juger, d’ailleurs. Comment ne pas être hypocrites quand le modèle proposé n’est pas humain? Pourquoi l’humain devrait-il devenir un supra humain?

Désillusion face aux sacrements. Trop de magie, trop d’idolâtrie. Ah, qu’il avait raison celui qui disait dans la Bible : « Tu ne feras pas d’image taillée de moi… » Toute la religion est un effort humain pour « cerner » Dieu et même le réquisitionner! C’est le fun quand on peut mettre Dieu dans une petite boîte et lui parler de nos bobos!!! Ou encore questionner sa compétence en constatant l’état du monde!!!

Désillusion aussi face à la dictature de l’Église face à la morale. Son immobilisme. Sa philosophie du Moyen-Âge. Son option pour la conformité plutôt que la liberté. On a tellement peur de la liberté, dans l’Église!

Et surtout face au concept de l’être humain vicié, sali au départ par la tache originelle, tenté par tous les péchés. Les meilleurs étant appelés capitaux! Parce que l’être humain n’apparaît vicié qu’en comparaison d’un idéal fantastique. Les pires crimes comme les plus grands exploits sont humains, point.

Désillusion face à la lecture en général assez fondamentaliste des Écritures. Je me souviens d’un étudiant en théologie qui a quitté le cours parce qu’il disait risquer de perdre la foi en écoutant notre prof, un prêtre, pourtant. Mais quand on peut passer des heures à prier devant un morceau de pain, on a de la difficulté à accepter que l’eucharistie, c’est d’abord une communauté rassemblée!

Il va me falloir accepter le deuil de l’espace que je prenais dans les diverses communautés auxquelles j’ai appartenu. Du plaisir de la recherche d’idées nouvelles pour l’animation, du plaisir de l’enseignement : j’ai toujours aimé faire mon show devant un public!

Mais je rêve encore de parler devant un public. Si quelqu’un veut que je parle des découvertes que j’expose ici, qu’il m’appelle!!! Je ne suis pas prêt à en faire le deuil…

Prochain épisode : Bâtir…

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12/25/2007

La course à obstacles

Nous aimions les rencontres hebdomadaires du Mouvement des Cursillos. Elles consistaient en général en une eucharistie, avec beaucoup de chant et un partage « aux tables » en petits groupes sur l’évangile, suivi d’un témoignage. Théoriquement, chacun aurait dû tirer une leçon de l’évangile, prendre une résolution, et accepter de s’évaluer la semaine suivante sur son action. Mais cette partie a la plupart du temps été négligée.

L’animation variait beaucoup, parce qu’elle était la responsabilité de personnes différentes à chaque semaine. Et le partage aux tables permettait d’exprimer ses émotions. Mais, avouons-le, ça n’allait pas très loin. Pour nous, en tout cas.

Se rendre à Victoriaville toutes les semaines, vivre à plein la rencontre, suivie la plupart du temps d’une rencontre plus intime au restaurant, revenir vers 1 ou 2 h du matin, payer la gardienne, la reconduire chez elle, dormir une courte nuit, aller travailler le lendemain… C’est quand même un peu exigeant pour un jeune couple. Nous ne cheminerons que quelques mois dans cette communauté.

La Famille Bethléem

J’enseignais à Sorel, et mon directeur, devenu depuis mon ami, me faisait parfois des « avances ».

— Vous semblez vivre quelque chose, ta femme et toi, faudrait qu’on se voie.

Je disais à Monique en revenant à la maison : « Mon directeur semble m’offrir son amitié sur un plateau d’argent, mais il me semble que ce n’est pas comme ça que ça devrait se passer. » J’avais d’impression d’être un enfant à qui un autre enfant demande : « Veux-tu être mon ami? »

Une bonne fois, il se fit plus précis. « Ma femme et moi, nous connaissons un prêtre formidable, l’Abbé Gilles.qui voudrait fonder une petite communauté de style nouveau. J’ai invité un couple et si vous vouliez vous joindre à nous, nous pourrions avoir une rencontre, tel soir. »

J’ai accepté tout de suite. L’abbé Gilles nous exposa son idée d’une communauté religieuse dont les membres continueraient à vivre chacun dans son milieu. Le membership serait très diversifié, comptant des laïcs mariés ou célibataires, des religieux et religieuses, des prêtres.

Nous ne nous en rendions pas compte, Monique et moi, mais nous assistions à une réunion de fondation d’une expérience unique, la Famille Bethléem. Notre vie n’allait plus jamais être la même.

Au début, nous nous rencontrions environ une fois par mois, pour un week-end de vie communautaire. C’était original, quand même : des familles avec de jeunes enfants, des étudiants qui se préparent à être prêtres, des célibataires plus ou moins jeunes, des religieuses, venant de partout dans le diocèse.

Notre prêtre gourou travaillait tard, et certains sacrements de la pénitence pouvaient se terminer vers les 2 h du matin. Et nous, nos enfants nous réveillaient tôt. Alors, quel plaisir vers 10 h, de donner des chaudrons aux enfants avec des cuillers de bois pour faire la parade et réveiller les lève-tard! Ils ne nous ont pas toujours trouvés drôles, mais tout était vécu dans un esprit familial serein. Les vengeances n’étaient jamais méchantes.

Les années passent, les valeurs de notre communauté se précisent, et Monique et moi en venons à prononcer des vœux d’accueil, d’esprit de famille, de pauvreté-partage, de prière et de joie. C’était quand même quelque chose!

C’était tellement quelque chose que j’ai quitté mon emploi à Sorel pour venir m’installer avec ma famille à St-Liboire, où notre communauté avait acheté une maison. « Quitte ton pays, dit la Bible, va dans le pays que je te montrerai… »

Mais dans toute communauté humaine, fût-elle religieuse, il y a de l’hommerie. Des conflits de personnalité, des conflits de leadership, des conflits de valeurs ont eu raison de la Famille Bethléem. Et avant de faire le « ménage », et d’accepter que nous y prenions part, l’évêque de St-Hyacinthe nous demande de choisir de partir ou de rester. Comme il n’y avait pas de garantie quant à l’avenir, nous avons choisi, la mort dans l’âme, de partir.

La communauté existe encore. On n’en entend pas beaucoup parler, mais ce n’est peut-être pas nécessaire. Nous aurions préféré qu’on en parle moins, « dans le temps », et qu’on en vive plus profondément les valeurs. Le deuil de cette partie de notre recherche religieuse m’habite encore. Je suis encore triste de n’avoir pu pousser plus loin notre expérience communautaire.

Que retenir de cette expérience de la Famille Bethléem? Nous aimons la vie communautaire. Nous nous engageons profondément. Par exemple, quand on s’est rendu compte que les enfants grandissants devenaient un obstacle à la formation et à la célébration, Monique et moi avons volontairement renoncé à cette partie de la vie communautaire pour garder les enfants chez nous et essayer de leur faire un bout de chemin. Nous avons donné de notre temps, de notre argent pour la communauté. Quelqu’un nous demandait un jour combien nous avions perdu dans l’aventure Bethléem. J’ai répondu spontanément que nous n’avions rien perdu, nous avions tout donné.

L’expérience a été formidable pour nous et nous avons gardé des liens d’amitié avec certains des membres de la communauté. Mais il fallait partir… La vie est un pèlerinage. Et Bethléem a été une étape où nous avons dans la vérité essayé de vivre nos convictions religieuses. Et c’est cette vérité qui nous a amenés à quitter.

Une anecdote, centrale dans mon cheminement. J’ai déjà dit qu’il y avait toutes sortes de personnes dans la communauté. L’une d’entre elles était une dame séparée, blessée par la vie, avec un langage pas plus distingué que cela. Je l’aimais bien. Je la respectais dans son originalité, et sa vérité.

Or voici que cette dame tombe enceinte d’une aventure d’un soir. Et qu’à la suite de sa faute, notre gourou de prêtre la met à la porte de la communauté sous le fallacieux prétexte qu’elle n’avait jamais suivi les étapes officielles de l’accueil dans la communauté. Autrement dit, elle a cheminé pendant quelques années avec nous, mais maintenant qu’elle faisait scandale, dehors!

Je me suis levé, et j’ai dit qu’on parle d’accueil, d’esprit de famille, et qu’on met ma sœur dehors. Qu’est-ce qu’on attend de moi, donc?

Le plus étonnant, je monte à la chapelle avec quelques amis et quelqu’un ouvre la bible au hasard, nous sommes presque des charismatiques, n’est-ce pas? Je ne suis pas trop à l’aise avec ce procédé qui réquisitionne l’Esprit-Saint! Mais il reste que le message trouvé tombe drôlement à pic. Voyez!

« 1 A l'ange de l'assemblée qui est à Éphèse, écris: Voici ce que dit celui qui tient les sept étoiles dans sa droite, qui marche au milieu des sept lampes d'or:
2 Je connais tes oeuvres, et ton travail, et ta patience, et que tu ne peux supporter les méchants; et tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas, et tu les as trouvés menteurs;
3 et tu as patience, et tu as supporté des afflictions pour mon nom, et tu ne t'es pas lassé;
4 mais j'ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour.
5 Souviens-toi donc d'où tu es déchu, et repens-toi, et fais les premières oeuvres; autrement, je viens à toi et j'ôterai ta lampe de son lieu, à moins que tu ne te repentes. » Ayoye !

Mais rien n’arrive sans raison. Nous étions trop centrés sur nous-mêmes. Notre communauté drainait toutes nos énergies, et parfois, même notre portefeuille! Il fallait passer à autre chose.

Le Mouvement des Cursillos, phase 2

Et pourquoi pas, revenir en arrière. Avant l’expérience de la Famille Bethléem, j’avais voulu parrainer mon directeur, Paul-Émile, pour le mouvement des Cursillos.Un jour, il m’appelle pour me dire qu’Andrée, son épouse, est en train de faire son week-end de cursillo et nous demande si nous ne voudrions pas lui faire la surprise d’assister à la célébration de l’impact. J’étais déçu de ne pas avoir su qu’ils allaient faire le week-end, mais il nous faisait plaisir de leur faire plaisir!

Nous y avons rencontré les responsables de la communauté locale à St-Hyacinthe, et quelques jours plus tard, nous nous joignions à eux pour leurs rencontres hebdomadaires. Nous avons tout de suite pris une place importante dans notre nouvelle communauté, et quelques mois plus tard, nous faisions partie du comité des responsables. Monique et moi sommes des créateurs au plan animation, alors c’est la responsabilité de l’animation qui nous est impartie.

On peut dire en rétrospective que les rencontres cursillistes sont trop centrées sur la liturgie, mais c’est une liturgie très libre, qui laisse place à beaucoup d’invention, d’expérimentation. Nous avons beaucoup aimé ce travail, qui n’en était pas un, en fait. C’était une passion.

Mais ça n’était pas toujours facile. L’hommerie, toujours. Le comité diocésain décide à un moment donné de scinder le territoire de deux communautés pour en former une troisième. Est arrivé ce qu’on peut deviner : chaque « demi-communauté » voulait qu’un des couples membres de « sa » partie du territoire devienne responsable de la communauté. Petite magouille, petit malaise, ce sont les plus naïfs qui sont élus, Monique et moi. L’autre couple « en lice » prendra prétexte d’une différence d’opinion pour se retirer par la suite. Hommerie…

Je ne dis pas qu’ils étaient les seuls en faute. Non, l’hommerie est en faute.

Plus tard, nous faisons partie de l’équipe d’un week-end de Cursillo, puis nous travaillons avec le Père Georges M., à « monter » un week-end d’aggiornamento, sorte de retraite de rafraîchissement (ou réchauffement!) pour « vieux » cursillistes. Créativité, recherche, liturgie : nous étions dans notre élément.

Enfin, une recherche majeure a changé notre vie. On me demande de faire partie d’un comité de recherche qui avait pour mandat de « refonder » le Cursillo sur ses bases originelles. Long travail : il fallait d’abord trouver dans les textes l’intention du fondateur, puis créer une école de formation pour faire avancer les cursillistes. Quelles belles rencontres nous avons eues! Quel beau cheminement spirituel et humain.

Nous avons découvert que les valeurs fondamentales du Cursillo (prière, étude, action) s’articulaient autour des valeurs de l’action catholique, finalement : voir, juger, agir. Voir, observer, être conscient. Juger, discerner, choisir. Agir. Ah, la pierre d’achoppement! Agir, que c’est donc difficile! Ça aussi, c’est humain. Peur du risque, de l’effort… Peur de se tromper, aussi.

C’est un peu comme en politique : quand arrive un problème important, on fait une commission d’étude. Et les recommandations d’action se ramassent souvent sur les tablettes!!!

D’autant plus que l’idée originale du Cursillo passait par les petits groupes. Quelques amis autour de la table qui scrutent leur vie, puis cherchent dans l’Évangile un éclairage. On jugeait ça trop dangereux. On avait peur que les gens cessent d’aller à la rencontre hebdomadaire, qu’ils cessent d’aller à la messe en paroisse. Quel désastre ce serait!

Quand est venu le temps de créer l’école de formation, on me demande de la prendre en charge. Imaginez la déception de notre responsable de comité, Claude, qui s’était donné corps et âme à ce projet, et qui avait vraiment de goût de brasser la cage. Il s’est senti trahi. Je n’avais rien fait pour devenir responsable, je suis plutôt du genre à fuir les responsabilités. Mais on m’avait choisi. Et j’avais dit oui.

Ce n’était pas une très bonne idée. Je suis trop naïf, trop accommodant. Depuis le début, on nous avait assigné un prêtre pour nous accompagner. Un bon bonhomme, mais un prêtre…L’école de formation a pris la couleur du Cursillo que nous voulions réformer. Beaucoup de formation, beaucoup de liturgie, mais peu d’action. Ce n’était pas carrément mauvais, mais ça n’allait pas assez loin.

J’ai l’intuition que la présence d’un prêtre, fût-il un bon gars, a tout gâché. On s’est retrouvé avec des messes à célébrer, donc à préparer, le sacrement du pardon, etc. Et ce que j’écris maintenant me fait comprendre pourquoi les curés responsables de plusieurs paroisses sont appelés dans notre diocèse des modérateurs. Pas animateurs de pastorale, modérateurs! Éteignoirs…

Incapable de mettre le doigt sur le bobo, à l’époque, mal à l’aise avec la direction qu’avait prise l’école de formation, je donne ma démission.Et je prends mes distances du Cursillo.

Monique et moi avons été invités au 10e anniversaire de notre ancienne communauté, il y a une couple d’années. Nous y sommes allés, mais nous y avons trouvé le même genre d’animation, une vie communautaire qui nous a paru fade. Rien n’avait changé. Ça peut paraître rassurant pour certains. Pas pour nous.

Avec le recul, je ne renie pas ce que nous avons vécu au Cursillo. La vie communautaire, la créativité dans l’animation. Mais c’est une étape passée, à laquelle nous ne pourrions pas revenir. Le Cursillo bouffait toutes nos énergies, il ne restait plus rien pour la société… et nos familles!

D’une communauté à l’autre

Alors même que nous cheminions avec la Famile Bethléem, nous avions pris contact avec le mouvement charismatique. Et un bon soir, nous nous retrouvons, un groupe de Bethléem, à une soirée charismatique dans une église de Sorel. Il faut dire que nous y étions allés plus par curiosité que par recherche spirituelle. Par contre, quand nous sommes allés nous faire imposer les mains, j’ai pris la démarche au sérieux. Quand nos amis nous ont demandé, avec un sourire mi-moqueur, si on avait « senti » quelque chose, je leur ai répondu que moi, j’étais convaincu d’avoir reçu ce dont j’avais besoin.

Nous avons suivi quelques formations, de diverses personnes qui avaient le « charisme » de l’enseignement. J’avais de la difficulté à entrer dans le « parler en langues ». Et à la clôture d’un congrès charismatique, alors que les prêtres et certains laïcs possédant le charisme de guérison essayaient de faire marcher des personnes habituellement confinées à leur chaise roulante, j’ai trouvé l’expérience carrément pénible…

Par contre, j’ai vécu quelque chose là. Les gens faisaient la file devant un prêtre charismatique qui tenait une bible à la main et donnait supposément un « message » aux fidèles qui était allés le voir. Devant moi, une religieuse avec des airs de grande dame se fait dire : « Le Seigneur te dit que ce n’est pas de ta richesse qu’il a besoin, mais de ta pauvreté ». La pauvre sœur en a eu les jambes sciées! Et à moi, il a dit : « Tu vaux bien plus que tu penses… » Ça m’a donné un choc, tout de même. Quelle intuition!

Nous avons cheminé un bout de temps dans un groupe de prière, et j’y ai pris une certaine place comme animateur. J’y suscitais même de l’admiration. Une bonne dame me disait un jour : « Ah Monsieur Nadeau, quand vous priez, vous avez l’air d’un saint ». Ça m’a bloqué net, car je savais, moi, le pécheur que j’étais. Et je trouvais trop facile d’impressionner…

Et quand j’ai eu pris une distance de la religion, et que ma mère s’inquiétait, disant qu’elle avait peur que je joigne une quelconque secte, je lui ai répondu, à moitié à la blague : « Il n’y a pas de danger que je joigne une secte, Maman. Le vrai danger, c’est que j’en fonde une! »

Que retenir de cette époque « charismatique » de notre vie? Trop de folklore, trop de magie, trop de sensationnel. Nous avons voulu y croire, nous n’y avons jamais cru vraiment, même si des fois, comme l’épisode relaté à la fin de notre cheminement bethléemien, c’était surprenant.

Un peu dans la même ligne, à des antipodes, toutefois, nous avons « fait » les exercices de saint Ignace. À deux reprises, notre animateur du premier groupe ayant déclaré forfait après un an de cheminement. Ce sont des exercices, des « efforts » pour conformer sa vie à la volonté de Dieu. Pour moi, c’est demeuré à l’état d’exercices. J’ai fait mon possible, sans y croire vraiment. Mais j’y ai appris beaucoup sur moi-même. On avait, par exemple, un exercice où on devait choisir des images significatives et partager avec les autres. Je me souviens d’une image que j’avais choisie, celle d’un moine rondouillet qui humait l’arôme d’une coupe de vin. Cette image disait le côté contemplatif de ma personnalité. Goûter, apprécier, contempler.

Plus tard, c’est devenu un élément fondamental de ma nouvelle spiritualité. Quand les amis viennent manger chez moi et qu’ils s’empiffrent avec la nourriture que je leur sers, je n’ai pas besoin d’un long discours de remerciement : je sais qu’ils apprécient. J’apprécie la vie la vie, et pour moi, ça vaut la plus belle prière d’action de grâces.

Mais je n’ai jamais réussi à entrer dans les exercices, parce qu’ils supposent une « prise en charge » de son cheminement. Et moi, je préfère me laisser guider. Tout en n’étant pas nécessairement facile à guider!!! L’Esprit-Saint a de la misère avec moi! Ou peut-être pas, finalement. On verra bien à la fin, quand tout deviendra clair.

Nous avons parlé du mouvement des Cursillos, centré sur sa liturgie, du mouvement charismatique, un peu trop « flyé » à mon goût. Eh bien, pour être terre à terre, nous avons tâté aussi du mouvement ouvrier. Nous faisions partie d’une coopérative alimentaire, et nous avions partagé avec certains qui étaient plus proches de nous nos déceptions spirituelles et communautaires. Alors quelqu’un me dit qu’ils étaient quelques-uns à se réunir en petite communauté, le dimanche matin, pour chercher dans l’évangile le sens de leur vie.


Nous avons cheminé un bout de temps avec eux, puis dans le mouvement MTC (Mouvement des travailleurs chrétiens), dans mon cas. Nous avons retrouvé la chaleur communautaire que nous vivions à Bethléem, plus la recherche de sens dans l’action qui manquait au Cursillo. Voir, juger, agir… Au Cursillo, on cherche dans l’évangile de la semaine un éclairage pour notre vécu. Au MTC et à la communauté ouvrière, on regarde le fonctionnement de la société, et on cherche quel passage de la bible pourrait jeter une lumière pour notre vécu. C’est une bonne chose, hein?

Mais il y avait un petit côté idéologique qui me heurtait. Par exemple, quelqu’un, lors d’un partage, qui dit qu’il n’est pas capable d’aller communier à la même table que son patron… Ah oui? Dieu prendrait parti entre le patron et l’ouvrier? Pourtant, il les a créés tous les deux, non? Lors de l’évaluation d’un colloque auquel nous avions participé, Monique et moi, je faisais remarquer que les véritables ouvriers étaient en minorité dans le mouvement. Et je surprends sur les lèvres de quelqu’un : « Il n’a pas la grille… » La grille?C’est la « grille » ou l’Évangile qui doit nous guider? Me reviennent en mémoire les mots d’un prêtre à la coopérative alimentaire, alors qu’on proposait d’étaler sur plusieurs semaines le coût de la cotisation annuelle pour certaines personnes démunies. « Nous ne sommes pas ici pour faire la charité. Nous sommes ici pour faire l’expérience d’une façon alternative de vivre en société. » J’y reconnaissais la «grille » en question, à l’action!

Mais le mouvement ouvrier m’a permis de vivre une expérience forte, lorsque Monique et moi avons quitté, déçus de ne pas trouver ce que nous cherchons. On est venus nous voir à la maison, on s’est enquis respectueusement de nos raisons, on nous a présenté quelques arguments, genre : « Quand quelqu’un se casse une jambe dans ton escalier, c’est important pour toi de réparer l’escalier, ou de mettre un plâtre sur la jambe. » J’ai dû avouer que j’étais un spécialiste du plâtrage de jambes! Mais je me suis senti libre, respecté.

Je pourrais aussi parler des cours de théologie que j’ai suivis à l’Université de Montréal et que j’ai adorés. Évidemment, un certificat ne mène pas loin, mais j’ai pu quand même prendre contact avec la méthode historico-critique et prendre conscience de la partie légendaire de la bible et de notre religion par la suite.

Ou des sessions d’Incroyance et Foi, destinées à nous rendre plus apte à dialoguer avec les distants. Mais j’étais déjà un distant. Je les voyais venir!
Mais il y a du bon dans tout. Le Père de Reyes nous présentait un modèle quadridimensionnel du fonctionnement de l’être humain, avec les sens pour communiquer avec le cosmos, la parole pour parler aux autres, le dialogue intérieur pour se comprendre soi-même et Jésus-Christ, le Verbe incarné, pour rencontrer Dieu. Mais même si son modèle était brillant, il nous avertissait qu’il n’était pas un idéal. Qu’une personne n’avait pas à développer simultanément et au même niveau chacune des dimensions. C’était un modèle théorique, qui sert d’instrument de comparaison pour mieux se comprendre. J’ai eu l’intuition à ce moment-là que le Jésus de l’Évangile était lui-même un modèle théorique qui permet par comparaison de savoir où nous en sommes.

Mini-conclusion

Je ne sais pas quand c’est arrivé. Mais à un moment donné, j’ai eu la même illumination que lorsque j’avais découvert au Cursillo que tout était vrai. J’ai eu l’intuition que rien n’était vrai. Que tout est vanité, comme dit le prophète. Ou peut-être pas. C’est à suivre!

J’ espère que vous avez pu vous faire une idée de ce que nous avons vécu, à partir des paragraphes qui précèdent. En me relisant, je crois voir une toile impressionniste, où les contours sont plutôt flous… Faudra s’en reparler. Suite au prochain épisode

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12/19/2007

La conversion

Je ne sais pas si je crois à la Providence. À un Dieu qui nous accompagne, qui nous protège. Je devrais peut-être. Jugez-en. Mon texte commence à ressembler à une bible. Et en y pensant bien, c’est comme ça que la Bible a dû être écrite! Que quelqu’un proclame que je suis animé de l’Esprit Saint et c’est fait, je suis fait prophète!!! Je vois déjà le titre : La Bible à Fabien (et autres baratins!).

Je commence à enseigner à Schefferville en 1965. Dans mes loisirs, je joue au hockey… et je prends de la bière! Je sors avec des filles, mais je sens que je ne vais nulle part.

Première intervention de ce que je pourrais appeler la Providence. Un accident de hockey met fin à ma « carrière ». J’aurai quand même réussi à compter un but! Quand on n’en compte qu’un seul dans sa vie, on s’en souvient, non? « Morrissette dans le coin… et c’est le but! Nadeau n’a eu qu’à pousser la rondelle dans un filet devenu désert… Premier point pour Nadeau, assistances à Morissette et Roy! » Puis je romps avec ma blonde du moment, pour une question de "valeur"… Je trouve qu’elle n’en vaut pas la peine! Rupture avec la gang, rupture avec la blonde, rupture avec la bière. La table est mise pour l’arrivée de Monique dans ma vie.

Elle était l’amie de ma sœur Denise. J’avais déjà vu sa photo : belle brune. Elle avait vu la mienne aussi, sans doute : beau frisé!

Je décide sur un coup de tête de me rendre à la graduation de ma sœur à Québec. Je ne voulais pas qu'elle soit seule en ce moment important de sa vie. Elle invite pour m’accompagner une quelconque copine de classe. Et Monique accompagne mon frère. Quand nous arrivons au couvent, dans l’excitation générale, personne n’a pensé à nous présenter l’un à l’autre, Monique et moi.

—Monique, j’imagine?
—Et toi, c’est Fabien?

Toute la soirée, j’ai reluqué la petite brune. En fin de soirée, nous devions nous rendre à Plessisville. François était au volant, Monique au milieu et moi du côté droit. Un couple d’amis de Monique occupait le siège arrière.

Après quelques kilomètres, je remarque que mon frère cogne des clous. Il va s’endormir au volant. Il faut préciser que nous avions passé la nuit dans le train Schefferville-Sept-Îles (580 km), puis que nous nous étions relayés au volant de Sept-Îles à Québec (644 km). Toute une promenade!

Je prends le volant et à Plessisville, mon frère descend pour aller demander à ma sœur et son futur mari où il y aurait un restaurant d’ouvert à cette heure du matin. J’ai l’idée de démarrer une chasse en auto.

—On part, Monique?
—Oui!

En nous voyant partir, mon frère décide qu’il est trop fatigué. Il va se coucher. Et nous passons le reste de la nuit à rouler en auto, cherchant au début à quel restaurant Denise et André (et François!) sont allés manger. Nous ne les trouvons pas. Puis les amis de Monique nous demandent d’aller les reconduire.

Nous restons seuls Monique et moi. Ce que nous avons fait? Regarder des photos en attendant l’heure de la messe la plus matinale. Eh, oui, cela a commencé par une messe!!! Mais j’avais pris sa main, et elle ne l’avait pas retirée!!! Elle ne l’a jamais retirée…

Nous nous sommes mis à correspondre, et après quelques rencontres, nous avons convenu de nous marier. Nous nous connaissions si peu! Ça, c’est de la foi!

J’ai découvert que Monique était sérieuse, qu’elle avait une vie de foi profonde, qu’elle était une femme de réflexion. En plein ce qu’il fallait à un jeune homme un peu évaporé comme moi.

Nous nous sommes mariés en juillet 1967, après avoir suivi par correspondance des cours de préparation au mariage! Pour Monique, il était important que nous ne faisions pas l’amour avant le mariage. Pour moi aussi, théoriquement… Mais j’étais plus attiré par la pratique!! J’ai respecté le désir de Monique. Mais nous savions tous les deux que si nous « traversions la ligne », ce ne serait pas un drame.

Nous nous sommes installés à Schefferville, et au plan religieux, en fait, la vie se limitait à la fréquentation hebdomadaire de l’eucharistie.

Nous avions convenu d’avoir des enfants. Plusieurs. Mais comment dire… Je trouvais normal que nous ayons des enfants, mais je n’en sentais pas le « besoin », vraiment. Martin est né en 1969. C’est lui qui a fait de moi un père. À sa naissance, j’ai vécu un « orgasme affectif ». Une onde de joie venue d’une profondeur que je ne me connaissais pas.

Beaucoup plus tard, alors que Renée-Claude était très malade, à l’hôpital Ste-Justine, et que nous nous demandions si elle allait y passer, j’ai vécu l’émotion adverse : un sanglot de détresse à l’idée que mon enfant allait peut-être mourir.

J’ai eu l’image suivante : Nous naissons dans un sanglot de détresse, alors que les parents sont inondés de joie. Lorsque nous mourons, nos proches sanglotent de détresse, peut-être que le passage de la mort se fait dans la joie?

Mais n’anticipons pas. Nous demeurerons trois ans à Schefferville. Je serai responsable d’école. J’aurai l’occasion de remplacer des profs malades. De faire, entre autres choses, la catéchèse… Mais la responsabilité de directeur d'école ne me plaît pas. Ce que je veux, c'est faire mon show en classe!

Nous décidons d’aller nous établir à Contrecoeur, parce que c’est là que mes parents se sont installés en quittant Schefferville. J’offre mes services à Sorel, et je mentionne que je pourrais enseigner les Sciences religieuses. On m’engage.

Je m’intéresse à ce que je fais. Mais pour moi, la religion n’est pas qu’une matière à enseigner. Il faut la vivre. Je m’offre tout de suite à donner bénévolement du temps en pastorale. Ce qui me permettra de faire l’expérience de l’animation, dans les Clubs Jeunes du monde, par exemple.

J’aime bien les « camps » de fin de semaine, axés sur la réflexion, la célébration, la rencontre. Une fois, à un camp de liturgie, le responsable me confie l’homélie de la messe qui clôture le week-end. Je panique… Je ne me souviens plus de quel texte de l’Évangile il s’agissait, mais je me souviens de mon idée principale : « Et si c’était nous qui serions responsables que le Christ ressuscite? »

La Providence… Un été, j’ètais à la recherche d’un emploi, parce que les professeurs étaient payés sur 10 mois et que nous n’étions ni prévoyants ni économes. J’étais assis dehors à prendre le frais quand le prêtre que je connaissais comme le responsable des Jeunes du Monde arrive pour me demander si Monique et moi ne serions pas intéressés à travailler dans un camp de vacances, cet été-là. Une visite rapide du camp et c’était fait. Je devenais responsable de l’entretien et Monique, du personnel féminin! Je cherche un emploi et nous en trouvons deux, à rester tranquillement à la maison…

La Providence… Je reviens de l’école, un soir, je roulais assez vite, selon mon habitude. La route est droite, mais je me dirige vers une courbe assez prononcée. Soudain, mes yeux s’écarquillent : une auto sort de la courbe en doublant l’autre. Qu’est-ce que je fais, moi? Une voix me dit : « Serre au centre ». J’obéis : je chevauche la ligne blanche et le conducteur qui dépassait comprend que je ne prendrai pas l’accotement. Il le prend, lui, et je passe entre les voitures, sans une égratignure…

La Providence… Je rencontre un de mes oncles très actif dans le mouvement des Cursillos. Drôle de mouvement… Il est assez évasif sur la nature du mouvement, il insiste surtout sur l’impact de la fin de semaine sur les participants. Bonheur garanti, selon lui. Monique et moi nous inscrivons donc, et en novembre 1971, je me joins à une cinquantaine d’autres hommes pour faire mon Cursillo. C’est un week-end de témoignages et de célébrations où on nous fait revoir en gros l’essentiel de la foi chrétienne. Cursillo, c'est "petit cours" en espagnol. Le samedi soir, nous recevons des lettres diverses de parfaits inconnus qui disent prier pour nous, se sacrifier pour nous, et qu’ils nous aiment…Je suis jeté par terre… Comme saint Paul, je suis projeté à bas de mon cheval. Je m’en vais à la chapelle, et je prie. Non, je ne prie pas. Je constate : « C’est vrai, tout ce que j’ai appris de la religion, c’est VRAI! »

Le lendemain, lors de la célébration de l’impact, on demande aux « nouveaux » de témoigner. Mon oncle s’attendait à un long discours : je suis professeur, je sais parler en public. Mais je ne peux tirer que deux mots de mon émotion. Je prends une grande respiration, et je dis : « Je respire…. » C’est une nouvelle naissance.

Suit le parcours du parfait converti. Je suis rayonnant de bonheur, je parle de mon expérience avec mes élèves, j’ai hâte que Monique fasse son week-end à son tour. Au Cursillo, les femmes font leur fin de semaine trois semaines après les hommes, avec une équipe de femmes, bien sûr, sauf les prêtres… Mais ça, c’est une autre histoire.

Monique sortira transformée elle aussi de son Cursillo, et son discours, lors de la célébration de l’impact, le dimanche soir, sera plus étoffé que le mien! Les cursillistes se réunissent en petite communauté, un soir de semaine, pour partager sur l’évangile et célébrer l’eucharistie. Il n’y a pas de communauté à Sorel. Nous nous rendons donc tous les mercredis soirs à Victoriaville, dans la communauté de notre parrain, mon oncle : 240 km aller-retour!

Mais nous n’allions pas cheminer très longtemps dans cette communauté. Je serai attiré ailleurs.

C’est une des caractéristiques de ma vie. Je suis une formation sur l’accompagnement aux mourants, je réfléchis sur le deuil à faire de ma religion. Je travaille bénévolement à des camps de jeune, je trouve un emploi d’été pour deux! Je fais mon Cursillo, ça va me faire cheminer dans toutes sortes de communautés.

À suivre.

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12/09/2007

L’ange déchu

Après avoir publié mon dernier message, j'ai été pris d'une sorte de tristesse, et je me suis demandé s'il valait la peine de faire ce travail. C'est probablement ce que notre animatrice voulait dire quand elle disait que le problème du deuil, ce n'est pas d'en sortir, mais d'y entrer…

Deux ou trois observations avant de poursuivre.

D'abord, je porte un œil critique sur une expérience d'enfant. La religion, en profondeur, était évidemment autre chose. Mais l’enfant, lui, la percevait à son niveau de vécu.

Ensuite, il faut observer que mon but n'est pas de jeter la pierre à quiconque. Je veux juste dire ce que j'ai vécu, moi. Dire ce dont je me souviens. Ce dont je prends conscience, aujourd’hui.

Et j’ai conscience aujourd'hui que je n'avais conscience d'à peu près rien, à l'époque. Je participais aux prières, mais je ne priais pas. Il faut avoir répondu en famille au chapelet du Cardinal Léger à la radio pour savoir qu'on est rapidement distrait! Je suis allé à la messe, j’ai participé aux sacrements, avec ma conscience d’enfant. On disait que j’avais l’âge de raison. Je n’en suis pas sûr. Il y en a sans doute pour qui l’âge de raison retarde un peu…

Aujourd'hui, je dirais que même les adultes du temps participaient aux exercices religieux avec un esprit d'enfant. Quand on se précipite pour ondoyer un enfant en danger de mort pour s'assurer qu'il va aller au ciel (et lui éviter les limbes!), quand trois “Je vous salue Marie” chaque jour vous assurent une belle mort, quand la confession « efface » vos péchés, on n'est pas loin d'Abracadabra et autre Sésame ouvre-toi!

Il faut aussi décoder les figures de style, la recherche d'effets. Je suis un écrivain. Et j'écrivaille! Allons-y donc pour la suite.


Nous retrouvons donc notre enfant de chœur à 12 ans. Il n’est pas un ange. Il sait que mentir est utile, mais aussi que ce n’est pas bien. Pourquoi? Ca fait de la peine au Petit Jésus, paraît-il. Il fait des colères. Il est orgueilleux, et ça, c’est terrible. Il n’aime pas trop travailler. La paresse est la mère de tous les vices, à ce qu’on dit. Les péchés capitaux, il les commet tous.

Deux événements vont bouleverser sa vie.

Il va quitter le village cocon de son enfance, il va devenir pubère.


Premièrement, le déménagement en ville. Ce n’est pas une bien grosse ville, mais fini le vase clos. Il va commencer son cours classique, devenir adolescent. Ça, ça vous transforme une vie, Monsieur!

Je ne me souviens plus si notre enfant de chœur a servi la messe, en ville. Peut-être. Mais l’arrivée d’un étranger n’a pas dû causer un grand remous dans l’équipe urbaine des enfants de chœur. Finie la messe quotidienne, en tout cas. Messe dominicale, bien sûr, sacrements occasionnels.

Mais ce qui va mettre une fin définitive à l’enfant de chœur en lui, c’est la puberté. La sexualité. La découverte du plaisir solitaire, hou là là! Ça aurait pu être si bon, ça. Mais non…

Je veux en parler ici, parce que notre préado a été élevé avec une mentalité janséniste qui avait une peur extrême du sexe, si ce n’est une obsession. Pour un enfant qui a tout à découvrir, c’est traumatisant. Comment réagir quand votre institutrice vous affirme qu’en matière de sexualité, il n’y a pas de péché véniel? Que le moindre toucher à ses organes commande une confession avant d’aller communier? Pourquoi ce qui est plaisant est-il défendu?

Notre enfant de chœur est un enfant normal. Je présume! Quelques anecdotes…

Il n’allait pas encore à l’école, je pense, quand il est tombé en amour pour la première fois. Son père à elle tenait un magasin général, et quand il allait faire des commissions pour sa mère, il attendait le moment de passer la porte pour lui dire à la sauvette : « Bye, ma blonde »! Au magasin général, il y avait un grand banc pour les rentiers du village qui fumaient une pipe en devisant des dernières nouvelles. J’imagine que le jeune amoureux a dû parfois meubler leurs conversations. Alors quand son professeur de psychologie, des années plus tard, parle à ses élèves d’une période de latence pendant laquelle les gars ne s’intéressent pas aux filles, notre jeune homme se dit qu’il n’a jamais connu ça.

Quel bonheur, en troisième année, alors qu’il revient de l’église avec son groupe (confession de masse!), et qu’elle le prend par le bras proclamant: « Lui, c’est mon chum! » Vous croyez que ça l’a empêché de dormir? Vous ne connaissez pas les enfants. Il a dormi comme un loir. Mais il y avait comme un sourire de figé dans ses rêves…

Un peu plus tard, il a dix ans peut-être, la famille est invitée par des amis à aller passer le dimanche dans un petit endroit de villégiature. Son père n’est pas là, parti travailler au loin, selon son habitude. Alors la mère de notre enfant de choeur est bien contente de sortir un peu de la grisaille quotidienne avec sa marmaille.

Monsieur B. a un gros camion pour la livraison de portes et fenêtres. Et lorsqu’il sort avec la famille, il boulonne deux vieux sièges d’auto dans la boîte, en arrière, où il peut asseoir six enfants.

Cette fois-là, une nièce de Sherbrooke, un peu plus vieille et délurée que lui, passe le week-end avec la famille B. La mère de notre enfant de choeur a tout de suite identifié la menace! Lorsqu’ils se baignent, par exemple, ils veulent s’éloigner un peu, histoire de se débarrasser des plus petits. Sa mère le lui reproche au souper, lui disant de faire attention à cette fille-là, que ce n’est peut-être pas une « bonne » petite fille. À 10 ans, qu’est-ce que tu peux comprendre de ces craintes maternelles?

Le soir, au retour, sa mère s’assure qu’ils sont assis chacun de son côté du camion, sur des sièges différents. Mais vous pensez bien qu’aussitôt que le camion se fut mis en marche que nos complices se retrouvent. Tout à coup, la belle étrangère se met à cogner des clous, et appuie sa tête sur son épaule! Hou là là! que c’est bon, ça! Il met son nez ses cheveux qui sentent encore l’eau du lac et ils dorment comme ça jusqu’à l’arrivée.

Le lendemain, sa mère lui dit qu’elle a été surprise de les trouver sur le même siège, qu’elle avait pourtant bien pris la peine de les séparer. Alors il lui avoue que c’est lui qui était allé la retrouver. Son commentaire : « Ah, t’as fait ton petit maquereau! ».

Un enfant de 10 ans ne sait pas trop ce que c’est que de faire le maquereau, et dans les circonstances, sa mère est sans doute la dernière personne à qui poser la question! Mais le message est passé. L’attirance qu’il a ressentie pour cette fille n’était pas correcte, elle était condamnable. Pourtant, lui, ce qu’il a trouvé ça bon!

Je ne fais pas de reproche à sa mère. C’était la culture du temps. Mais notre enfant de chœur en subira longtemps les effets…

Quand sa sœur vient au monde, un de ses frères, la journée du baptême, demande naivement : « Comment on fait pour savoir que c’est une fille? » Question niaise, pense l’enfant qu’il était encore alors… Et ses oncles de se mettre à rire nerveusement. « Veux-tu qu’on te le montre? ». Mais un regard des femmes dans la pièce, ils ne l’ont pas fait. L’enfant de chœur était bien déçu!!! Il aurait aimé ça, savoir…

Autre illustration de cette mentalité. L’enfant entend sa mère discuter du fait qu’une villageoise donnait le bain à ses deux enfants, gars et fille, en même temps. « Vous ne me ferez pas accroire que ces enfants-là ne se regardent pas! » Quel scandale, hein! Ça nous paraît ridicule aujourd’hui, mais dans le temps, ça ne se faisait pas! On faisait même l’amour dans le noir!

Alors vous pensez bien que lorsqu’un voisin un peu plus vieux lui parle de ses expériences de masturbation, l’enfant de chœur ne vérifie pas la justesse de ses informations avec sa mère! Il se met en état de recherche scientifique sur le « terrain »!!!

Un jour, sa mère le surprend lors d’une de ses « expériences ». Oh, grand Dieu, l’apocalypse! Il se fait dire qu’il en train de devenir vicieux comme ses oncles. Dans le coin avec ton chapelet, mon gars, je vais te donner de quoi égrener, moi!!! Il faut dire que certains de ses jeunes oncles, à peine plus vieux que lui, ont profité du fait que sa grand-mère les gardait, lui et ses frères, pour se faire toucher les organes (la pissoune, ah, le vocabulaire québécois en « oune »!), dont il garde de mauvais souvenirs, malgré la relative innocence de la chose.

Et le lendemain matin, confession obligatoire, messe, on passe le torchon! Est-ce que je suis le seul à penser ça, ou il y a de quoi être traumatisé? Chose certaine, l’ « enfant de chœur » devient de plus en plus un « enfant de cul » et se confesse de moins en moins souvent. Mais au moins, il n’a plus besoin d’inventer des péchés!!!

Il s’intéresse aux filles. Il en suit une parfois en se rendant à l’école. Il ne sait pas quelle école elle fréquente. Il sait seulement qu’ils se retrouvent sur le même trottoir, à peu près tous les jours, à peu près à la même heure. Elle lui semble plus vieille que lui. Il ne l’abordera jamais.

Deux ou trois ans plus tard, redéménagement. Pour le Nord, cette fois-là, Schefferville. Dépaysement total. On retombe dans un milieu fermé, mais très diversifié.

Sa mère veut qu’il poursuive son cours classique. Mais la famille n’est pas riche. Alors, sa mère en parle au curé, qui recommande une rencontre avec Mgr Scheffer, un Oblat. Et c’est comme ça que notre adolescent est devenu « juvéniste » au Séminaire oblat de Chambly. Il retombait dans un milieu religieux, on ne peut plus fermé, puisque le petit séminaire formait de futurs prêtres religieux. Il y passe un an seulement.

Il aime le pensionnat, le gang de gars, la routine bien établie. Il sert la messe à son tour. Mais il ne prie pas plus. N’est pas plus croyant. Peut-il avoir la « vocation »?

Au début de l’année, on demande aux pensionnaires de choisir un confesseur, ou directeur spirituel. Pour les autres, cela ne fait pas difficulté, ils ont déjà deux ans de cheminement de faits. Le seul père que le p’tit nouveau connaissait un peu était un adjoint du directeur, qui l’a accueilli à la rentrée. Les règles de prudence ne permettent pas qu’il fasse de la direction spirituelle. Alors on confie le nouveau au père professeur d’éducation physique, un colosse à qui il ne pourra jamais faire confiance. Il avait pourtant une certaine admiration pour lui, c’était tout un joueur de hockey. Mais se confier à lui? Lui livrer son intimité? Jamais! Il le rencontre une dizaine de fois, j’imagine, il lui raconte toutes sortes d’histoires… Il n’a jamais pu lui avouer son « problème »!

Ils sont peut-être 80 dans le dortoir, avec un surveillant qui se berce en disant son chapelet. Il doit pourtant voir qu’il y a de l’action sous certains draps! Peut-être qu’il dort, aussi… Ou qu’il aime ça!

Notre enfant de chœur prend conscience qu’il n’a pas la vocation lors de la cérémonie de la prise de la « petite croix ». On faisait faire aux nouveaux une sorte de courte retraite et le dimanche, ils reçoivent une petite croix, quand même assez lourde, réplique miniature de l’immense croix que les religieux oblats portaient. Il se sent en pays étranger.

Vers la fin de l’année, il se fait prendre à fumer, et surtout à fournir des cigarettes aux autres. Le sens du partage, paraît que ça ne doit pas s’appliquer aux cigarettes. On lui donne une retenue (ah, ça, ça fait mal, une des rares fois qu’on avait un film!), mais on lui demandera plus tard de ne pas revenir l’année suivante.

Il apprendra deux ans plus tard que la vraie raison de son expulsion, c’est qu’au mois de mars, il a dit à ses camarades qu’il ne voulait pas revenir l’année suivante. Et pour les Pères, c’était faire preuve de « mauvais esprit » : il risquait de « détourner » les autres de leur vocation. Personne n’a pensé qu’il avait 15 ans, qu’il était parti de chez lui depuis septembre, et que l’hiver est long au pensionnat, loin de ses parents… Et comme il ne se confiait pas, ils ne pouvaient pas savoir…

Toujours est-il qu’il ne revient pas. Le cours classique se termine là, après trois ans de latin et un de grec. C’est peut-être pour ça qu’il est devenu prof de français plus tard? Chose certaine, c’en est fait de la vocation religieuse.

Que retenir au plan religieux de ce passage au petit séminaire? À peu près la même chose que de sa carrière d’enfant de chœur. Il fait des prières, sert à la messe, participe aux exercices. Mais il ne prie pas. Il n’a pas la foi.

Il comprend plus tard que les Pères lui ont rendu un fier service. Quel piètre célibataire, fût-il consacré, il aurait été!

Retour à Schefferville, donc. C’est là que notre ado va découvrir la langue anglaise… et la langue des petites Anglaises! Ah, Vivian, Judy, wow!

Rien à dire de cette période. Il va à l’école, à peu près avec la même conviction qu’il va à l’église, il joue au hockey comme tous les gars de son âge, il s’essaie à la séduction. Avec des succès mitigés, admettons-le, dans tous les domaines!

Pour sa 5e secondaire, il redeviendra pensionnaire. Puis ce sera l’école normale, où il sera l’un des servants de messe. Pensionnaire toujours, mais au moins, là, les sorties sont libres.

Cette époque, au plan religieux, sera surtout marquée par des rencontres avec l’aumônier, souvent en groupes, pour parler de tout et de rien : le sport, la politique, leur vécu d’étudiant. Notre jeune homme en a dépensé des croix d’absolution, il était un consommateur compulsif! Puis, la dernière année, il trouve un emploi, ce qui lui permet de quitter le pensionnat (à 22 ans!!!), de passer du temps avec sa copine sans avoir à se soucier de l’heure de rentrée.

Anecdote : sa copine et lui vont se confesser un peu avant Noël, puis essaient d’éviter de s’embrasser, de se câliner, pour « éviter le péché » et pouvoir aller communier. Ça ne dure pas longtemps. Après le réveillon, les parents de sa petite amie se retirent, et le jeune couple a pu « pécher » effrontément jusqu’aux petites heures du matin!

Notre enfant de chœur devient professeur. Rien à dire là-dessus non plus. Enseignement le jour, hockey ou blonde le soir, pas mal d’alcool. L’arrivée d’une certaine Monique dans sa vie va changer tout ça.

L’enfant de chœur n’est pas un ange. Il est un être humain. Grosse découverte!

L’être humain est sans doute le seul être sur la terre qui refuse son être. Un chien ne veut pas être moins chien, un éléphant moins éléphant, un rat moins rat.

L’être humain est mortel et rêve d’immortalité. Il est un animal qui rêve de spiritualité. L’ange n’est déchu que dans sa tête. Il n’a jamais été un ange, se nourrît-il du « Pain des Anges » …

(À suivre)

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